En jeu de rôle, créer implique une pression, quoi qu'on entende par ce terme. Est-ce que ce que je vais créer est pertinent ? Est-ce une bonne idée ? Est-ce que je ne devrais pas plutôt faire telle autre chose ou me taire ? On peut disserter à l'envi sur la nature de cette pression et la façon de la gérer, des cas où elle est nocive et de ceux où elle nous motive. Ce qui m'intéresse aujourd'hui c'est la peur, dans les jeux de rôle à autorité largement partagée, ou bien de manquer d'inspiration, ou bien de lancer la fiction dans une direction qui ne plaît pas, en inventant de nouveaux éléments qui ne sont pas raccord avec les dynamiques de l'instant présent. Bref, je me sens responsable du résultat.
Dans La clé des nuages, la pression à la création intervient en particulier lorsque le Mage pénètre dans une nouvelle section des ruines, ce qui appelle une description de l'Image. Quelqu'un doit alors les inventer à la volée. Et comme il s'agit d'un jeu en performance - non, je n'ai pas de définition ! bientôt, j'espère... ! - on va naturellement chercher à faire quelque chose de beau, ou de fort ; bref, soigner son intervention.
Après quelques parties, je constate que cette étape n'est pas toujours facile, mais qu'elle rentre souvent assez vite dans une dynamique fertile et plaisante. Il se passe, dans le ping-pong entre les deux joueuses, un déchargement de responsabilité de l'une vers l'autre qui facilite l'interaction.
Car qui est vraiment en charge de la description de la nouvelle pièce ? C'est l'Image, mais elle se base simplement sur les propositions du Mage, à qui elle vient juste de demander : que t'attends-tu à trouver ? On ne crée jamais ex-nihilo, même quand on invalide les attentes du Mage ; on construit sur, on complète, on inverse peut-être. De fait, en jouant ce rôle, on ne se sent pas en besoin de créer ; on se contente de tout remettre à notre sauce, ce qui est une position bien plus confortable.
C'est donc sur le Mage que tout repose ? Non : il peut allègrement dire ce qui lui passe dans la tête, ce qu'il imagine possible et qui l'intéresserait, sans trop savoir pourquoi telle ou telle idée serait bonne. C'est, de toute façon, à l'Image de formuler tout ça, à elle de faire corps, de faire quelque chose qui tienne. On n'est donc pas non plus en besoin de créer, tout au plus de livrer un brouillon qui sera regardé comme tel.
C'est ce que je désigne simplement sous ce terme de déresponsabilisation créative. Un outil qui me libère de mon auto-censure, fluidifie la discussion, limite l'imagination dont j'ai besoin de faire preuve. La machine ne marche pas toute seule - les longs silences dont La clé des nuages est ponctué en sont la preuve - mais au moins elle est huilée.