Comment je joue à Veins of the Earth

Veins of the Earth est un supplément autonome pour Lamentations of the Flame Princess, écrit par Patrick Stuart et illustré (c'est important) par Scrap Princess. Ce jeu est deux choses : une invitation à jouer une sorte d'aventure extrêmement forte, angoissante et profondément étrange, entre survivalisme crade et horreur métaphysique, et un vaste réservoir de monstres et d'environnements, d'idées, de tables, de méthodes de création et de jeu, et de règles associées.

Cet article un peu inhabituel n'a cependant pas pour but de présenter ou critiquer Veins of the Earth - pour cela, je vous renvoie par exemple au billet de Steve sur Hugin&Munin - mais simplement de décrire comment je me sers du livre et comment je joue avec. Veins est un bijou et un jeu qui a eu un impact gigantesque sur moi, mais il est difficile à exploiter. Ce qui suit est donc surtout à destination des personnes qui connaissent déjà le jeu, ou s'intéressent plus généralement à la pratique de l'OSR.


0. L'auteur.ice de Veins, c'est MOI

Je ne cherche pas à jouer à Veins by the book. Déjà, je ne connais pas Lamentations of the Flame Princess, et je n'ai pas envie d'apprendre ses règles qui ont l'air de relever d'un OSR assez complet mais peut-être un peu insipide et lourd. Ensuite, certains outils me tombent des mains et je n'ai pas envie de prendre le temps d'apprendre à les maîtriser, comme les règles d'escalade, la procédure de création de caverne en jetant 2d6, la carte en pseudo-3D, etc. Dans ma pratique, ces choses sont simplement trop pénibles et trop longues à utiliser.

Veins est une base à partir de laquelle j'ai construit ma propre pratique et façon de l'utiliser, qui m'est personnelle. Ce qu'il offre est exactement ce que j'attends d'un tel livre, et c'est pourquoi il m'a comblé. C'est aussi un des jeux qui me fait faire les préparations les plus longues auxquelles je m'astreins - généralement, j'utilise des jeux avec peu voir pas de préparation du tout. La raison en est d'une part que Veins est à la fois très dense, donc difficile à découper en petits morceaux, et très intense, de sorte que je n'ai pas envie de simplement picorer quelques éléments mais bien de plonger complètement dans l'ambiance surréelle qui s'en dégage. Je veux donc préparer quelque chose de consistant qui se repose assez sur le livre, quand bien même je prendrai mes libertés. Ce que je fais avec plaisir, parce que le livre est saisissant et que j'aime beaucoup simplement me plonger dedans.


1. Règles de résolution et de création de personnage

Je n'utilise pas LotFP, je le remplace par des règles essentiellement tirées d'Into the Odd pour la résolution, et d'une invention personnelle que j'adore pour les objets de départ.

Into the Odd, ça se résume chez moi à : 
- 3d6 dans les trois stats : Endurance, Habileté, Volonté, ainsi que d6 points de vie. Ces noms-là me parlent plus que Force et Dextérité, je ne saurais pas exactement dire pourquoi.
- les seuls jets sont des jets de sauvegarde (d20 roll under)
- les pouvoirs marchent d'office, mais coûtent 1 PV ; on a le droit d'utiliser des pouvoirs de façon détournée à condition de réussir un jet de sauvegarde en Volonté
- on n'attaque pas, on agresse : on jette directement le dé de dommages, sans jet pour toucher ; il est donc primordial d'avoir l'effet de surprise, ou en tout cas une très bonne idée, pour se débarrasser de ses ennemis
- à 0 PV, les dégâts supplémentaires sont perdus en Endurance et il faut réussir un jet pour rester en vie. Les blessures subies sont critiques et il va falloir gérer pour que le personnage ne meurt pas.

Quant à l'équipement, je n'utilise pas l'idée des tables d'ItO (pourtant géniale ! mais longue à hacker...) mais une sorte de méthode du mariage. En gros, j'écris un certain nombre (20 ?) de petits papiers avec sur chacun un objet, ou un pouvoir, ou une malédiction. Je procède ensuite comme suit :
- je propose à un PJ un papier. S'il l'accepte, il est pour lui. Sinon, le papier est définitivement écarté et je lui propose le prochain papier.
- je continue ainsi jusqu'à ce que le PJ ait accepté un papier.
- je fais de même avec les autres, puis je fais un deuxième tour. A la fin du processus, tout le monde a donc 2 papiers, sauf s'il y a eu tellement de défausse qu'il n'y en a plus assez. Auquel cas, tant pis pour eux !
- si on tire une malédiction, on est obligé de la prendre. Certaines malédictions sont de pures pertes, d'autres peuvent être utiles (comme perdre 1pv à chaque fois qu'on va dans une direction qui ne nous rapproche pas d'un objectif : c'est violent mais ça fait boussole)
Pour les objets et les pouvoirs, plusieurs tables issues de Veins donnent de bonnes idées.

Cette méthode me permet de mettre potentiellement entre les mains des objets pertinents pour la préparation du jour. Je mets aussi toujours au moins 1-2 objets bizarres dont je ne détermine pas d'avance l'utilité, pour pousser les joueureuses à chercher à faire des trucs avec et me convaincre. L'étape de sélection des objets est déjà un jeu dans le jeu, avec ses pièges (un gros sac de pièces d'or ? à ne surtout pas prendre, ça ne sert à rien !) et ses trésors (je peux parfaitement mettre une épée magique d10 ou autre objet magique très puissant). Un type d'objet très important auquel je fais attention, c'est la lumière : je fais en sorte que le paquet contienne au moins 2 objets générant de la lumière, mais qu'ils soient peu attirants. Par exemple une méduse luminescente en train d'agoniser au bout d'un bâton. Juste après, je demande qui a pensé à prendre de la lumière... et si la réponse est "personne", alors les PJ commenceront dans le noir et ce sera la merde.

Remarque : si je fais une campagne, un jour, j'envisagerai peut-être de prendre des règles plus fines et intégrant un peu plus de narratif. Je pense notamment à Macchiato Monsters.

2. Lumière

C'est un point de règle particulier sur lequel je mets parfois en place une procédure assez spéciale, qui marche plus ou moins bien selon ce que les joueureuses aiment. Je plonge la pièce dans laquelle on joue dans le noir, et je me réserve une unique lampe, pas très forte, pour éclairer la table. Ce peut être la torche de mon smartphone posé sur un écocup, d'expérience, ça marche bien et ça force tout le monde à se pencher un peu misérablement vers la lumière pour jeter les dés. Là où ça tourne au vice, c'est que j'éteins la lumière lorsque les PJ sont dans le noir, ce qui amène une atmosphère un peu étrange. Ça a un gros impact gameplay : sans lumière, pas de jets de dés possibles, donc que des échecs automatiques. Evidemment, il y a des cas où je dois mitiger, et en narratif je permets parfois de réussir des choses difficiles pour permettre au jeu d'avancer, mais l'idée est que le noir est le moment où je me réserve une toute-puissance de MJ et ce doit être particulièrement stressant. Les combats seront racontés sans jets de dés et sans PV, et ce n'est pas une très bonne nouvelle.

3. In media res

Je n'ai pour le moment joué que des one-shots. J'envisage une campagne un jour, mais je ne sais pas quand. Quand je fais jouer une partie, je prends toujours grosso modo le même contexte : 
- les personnages commencent perdus quelque part, et potentiellement poursuivis
- cela fait longtemps qu'ils sont dans les Veines, et leurs souvenirs sont très flous ; on ne se préoccupe pas de comment ils sont arrivés là, juste de leur vie maintenant. Parfois je fais même tirer au d8 une "raison originelle de descendre" et je demande à chaque PJ de réfléchir à pourquoi ce n'est plus d'actualité maintenant.
- ils peuvent avoir un objectif, comme trouver une sortie, mais simplement "survivre" peut suffire ; parfois, je chercherai à leur proposer un nouvel objectif ou un nouveau sens beaucoup plus bizarre à leur existence, comme de se soumettre à une entité chthonienne étrange (par ex le Civilopede qui veut des servants pour lui récupérer des oeuvres d'art)
Le jeu est donc très centré sur l'environnement qu'ils traversent, avec très peu de relations interpersonnelles pré-existantes, et le coeur de jeu reste exploration / survie / confrontation aux bizarreries du monde.

4. La map

Préparer une partie revient donc essentiellement à préparer un bout de caverne, que je dessine vaguement au fur et à mesure (je ne donnerai jamais ce plan, par contre). Pour cela, je passe un long moment à lire le livre, jusqu'à trouver un ou deux éléments centraux que j'ai envie de placer et de faire jouer. C'est typiquement un monstre puissant et intéressant (mon énorme kif : l'Antiphénix), ou un peuple. Je vais ensuite construire la carte autour, en rajoutant des ennemis chelou (j'essaye d'en avoir au moins 2-3 venant du bouquin de base), quelques idées de loots, et des tas de types d'environnements différents. Le (ou les) truc(s) que je veux montrer et qui m'intéresse est quelque part dans la map, mais je ne chercherai pas forcément à pousser absolument les PJ vers lui et potentiellement ils le rateront. L'essentiel, c'est qu'un semblant de fin soit possible à plusieurs endroits : possibilité de trouver une sortie (même hypothétique), de se soumettre à un nouvel ordre, de mourir rituellement, whatever. Comme je vise le one-shot, je veux qu'il y ait une sorte de conclusion à un moment.

Une astuce que j'utilisas pas mal au début : les tables du jeu sont innombrables et naviguer dedans pendant le jeu n'est clairement pas pratique, du coup, je sélectionne les tables qui m'intéressent et j'en retire (aléatoirement ou par choix) 4 éléments, que j'inscris tous sur la même feuille. Ainsi, j'ai sous les yeux une série de tables d4 pleines de trucs intéressants à amener, ou qui potentiellement ne me serviront qu'à créer la map.

Un point notable : j'ai une idée des salles importantes et des moyens de passer des unes aux autres, mais ma map n'est pas hyper précise (ni hyper respectée en pratique). En somme, je distingue les lieux majeurs (bien préparés) et les zones-tampon qui les relient (improvisées). Je suis précis face aux défis et dans les espaces majeurs, mais les couloirs sont pour moi des situations plus simples dans lesquels il se passe entre 0 et 1 chose à chaque fois, typiquement : 
- rencontre d'un ennemi, ou signes d'une menace
- objets bizarres / curiosité géologique
- PNJ bizarre
- obstacle à passer (une partie immergée, une ouverture trop étroite...)
- etc.
Quand je réfléchis à l'agencement des lieux, je me force à y mettre une certaine verticalité. Carte oblige, comme je n'utilise pas la méthode du jeu pour représenter des environnements en 3D, j'ai tendance à faire des choses trop horizontales, donc je veille à me corriger pendant la phase de création.

Une technique que j'ai utilisée lors de ma dernière partie, et que je referai, c'est de diviser la map en 4 quadrants, et de chercher à attribuer à chacun un élément majeur et un thème / une ambiance. Par exemple : ruines antédiluviennes, sècheresse surnaturelle, pourriture et eau croupie, Antiphénix, sentiments religieux exacerbés, etc. Le coeur d'un tel quadrant peut venir d'absolument n'importe quel morceau du livre de base, comme par exemple les descriptions des 12 sortes de ténèbres (celle qui rouvre les vieilles blessures est goldée !).

Jouer

J'ai décrit aussi précisément que je le pouvais un certain nombre de mes routines de jeu sur Veins, qui m'ont produit des parties dans l'ensemble très satisfaisantes. Il resterait peut-être à décrire le plus difficile, c'est-à-dire ma façon de jouer, d'être MJ ; je n'ai pas vraiment d'insight à transmettre sur ce point-là, cependant. Ma pratique de MJ d'OSR est surtout construite sur des expériences passées et sur ce que j'ai lu et entendu de l'OSR, notamment la vision du Grumph. Je peux peut-être juste dire cela : j'utilise la bizarrerie de Veins of the Earth comme une incitation à proposer des idées bizarres. Je ne me fixe jamais complètement sur la façon dont réagissent les adversaires, dont fonctionne le monde et les objets, dont pensent les PNJ. Je veux que mes joueureuses rentrent dans le mode de pensée d'un monde horrible où la logique n'a plus cours, et tentent de faire ce qui leur semble bon, même si cela paraît absurde. 

Voilà pour aujourd'hui. Bon jeu !