Le game-design du premier coup

C'est quelque chose que j'ai déjà raconté un bon nombre de fois autour de moi, et que je prends pour une fois le temps de poser à l'écrit pour l'étayer un peu. J'ai un rapport au game-design un peu différent de la plupart des discours que je vois autour de moi, et je vais simplement l'expliciter ici pour faire une référence.

Essentiellement, tout tient en une phrase : réussir du premier coup (après de très nombreux échecs)

1 Des exemples pour commencer

En juillet 2016, je postais sur le forum des Ateliers imaginaires une idée de jeu appelé Elle voyage centré sur le voyage qui me trottait en tête depuis un petit moment. Ça tient en quelques paragraphes. Je l'ai testé plusieurs fois, il produit des parties poétiques d'environ 15-20min, convenablement satisfaisante. Il a été question ensuite de modifier le jeu, de réfléchir à comment l'améliorer, lui enlever ses maladresses - ce que je n'ai jamais fait, délivré que j'étais du fantasme de ce jeu qui avait déjà pris vie. Quelques années plus tard, j'ai sorti La clé des nuages, d'abord sous la forme d'un pdf de quelques pages, puis d'un petit livre aux éditions Dystopia. Il s'agit d'un jeu qui a été conçu en une soirée, testé peut-être le lendemain (le crashtest a d'ailleurs son compte-rendu ici), et presque pas modifié depuis. À la base, le Mage devait avoir un nom (que nous avions oublié de toute façon à la première partie), et l'artefact n'était pas repris comme clé par l'Image, mais c'est à peu près tout. Elle voyage était moyen au premier jet ; La clé des nuages, par contre, a très bien marché. Je mets souvent ces deux jeux en vis-à-vis car ils partagent énormément d'éléments communs : parties courtes et poétiques, flou volontaire sur les pensées et les raisons des actes des personnages, narration de voyage absolument pas centrée sur l'interaction avec d'autres personnages... Tous les jeux que je conçois, et maintenant tout autant qu'avant, fonctionnent sur ce principe : ils doivent marcher du premier coup, sans amendement nécessaire. C'est impératif. Sinon, j'abandonne.

Fin 2021, j'ai commencé à développer un jeu inspiré du Nasuverse, univers regroupant une série de visual novels / light novels - et leurs nombreuses adaptations en anime, manga... - créés par le studio TYPE-MOON, tels que Fate/stay night, Shingetsutan Tsukihime et Kara no Kyoukai. Je m'y suis référé comme à Projet Agartha ou encore Projet Azur, le nom que j'utilise maintenant. Un fantasme revenu tout droit de mon adolescence. Sur l'espace de deux semaines, j'ai produit énormément de texte : j'ai créé une image de notre monde actuel auquel rajouter des mages secrets, des institutions liées au monde occulte, de puissantes entités non-humaines, un système de magie essentiellement non-formalisé mais sacrément complexe, et de manière générale une certaine masse de PNJ important, de concepts philosophiques plus ou moins suivis, etc. Puis j'ai proposé une partie test, qui aurait pu débloquer une petite campagne ; malheureusement, j'ai mal préparé mon coup, en construisant pour un premier test une situation de jeu déjà très complexe qui n'a permis que de jouer quelques temps d'une rencontre diplomatique difficile, et aucun usage de la magie, aucune confrontation aux spécificités de l'univers de Projet Azur. Je me suis promise de retourner aux fourneaux, de produire quelques idées de canevas de jeu plus adaptés et d'amender les parties trop nébuleuses du système de magie. Mais le mal était fait : je n'ai finalement rien repris, rien continué et, à chaque fois que je retourne sur la page Notion de Projet Azur, je ressens juste une sorte d'indifférence mêlée de la vague culpabilité de ne pas avoir poussé plus avant ce projet. Toute motivation a disparu et, avec elle, l'essentiel des chances de voir sortir le jeu un jour sous cette forme. Ce n'est pas totalement exclus, c'est juste très improbable.

Un troisième exemple enfin, qui donne à voir un schéma un peu plus nuancé. Cimetière est un projet de jeu sur lequel j'ai déjà joué une campagne d'une quinzaine de séances, et une série de one-shots, enregistrés sur ma chaîne. Tout comme le Nasuverse, c'est un jeu qui provient d'un de mes "chocs esthétiques", une inspiration forte à laquelle je reviens avec la régularité d'un métronome : la série des Dark Souls. Cimetière était une déclinaison OSR du jeu, en campagne longue pour un unique PJ, associée à des techniques de génération de contenu côté MJ, faites pour ne pas avoir à inventer dès le début un immense monde cohérent mais pour pouvoir plutôt le dérouler petit à petit au fur et à mesure de l'exploration, en ayant toujours une ou deux longueurs d'avance pour éviter d'être dans l'improvisation. En termes de tentatives d'adapter Dark Souls, Cimetière arrive après : un hack d'Inflorenza, Déclin ; un hack de Polaris ; un hack de Dream Askew ; un OSR inspiré d'Into the Odd ; un hack de Sphynx ; et probablement un ou deux autres que j'ai oubliés. Tous des échecs ou des demi-réussites, que je n'ai pas voulu poursuivre. Cimetière a marché du premier coup et donné une campagne qui m'a, c'est vrai, poussé à métamorphoser le jeu, à faire enfin ce qu'on voit bien d'autres game-designers faire : repasser par l'usine, changer une petite règle, affiner un truc, réajuster l'objectif, enlever ci, ajouter ça. La campagne était sur ses rails, produisant presque à chaque fois de bonnes parties pour une préparation assez minimale de mon côté (30 minutes environ, même sans grand zèle). Récemment, elle a atteint un point final : pas une fin, mais un point de blocage, à partir duquel jouer au jeu est devenu presque impossible. Résultat, la rédaction de Cimetière, qui avait avancé erratiquement mais avancé tout de même, s'est arrêtée et enlisée. Je ne peux pas assurer aujourd'hui que le jeu sortira, même si ça reste un projet ; notamment parce que le jeu a surtout besoin de rédaction, pas de conception.

Réussi du premier coup, après un grand nombre d'échecs.

2 Conception & motivation

Je suis catastrophique en gestion de projet : profondément procrastinateur, incapable de me tenir à une deadline, incapable de me tenir à un quelconque exercice plus de deux jours d'affilée, de tenir une bonne résolution, de mettre en place quoi que ce soit dans mon quotidien. Je ne bosse que quand j'ai le feu sacré et tout ce qui m'ennuie m'est profondément pénible. J'ai arrêté de croire qu'un jour je changerai, parce que tenter de tenir les engagements typiques d'un modèle qui n'est pas le mien étaient seulement sources d'un sentiment de culpabilité inutile et blessant. Même si tout cela va un peu mieux depuis que j'ai 1. un traitement efficace pour mon trouble cyclothymique, et 2. une plus grande confiance en moi depuis la sortie de La clé des nuages, preuve s'il m'en faut qu'avec de l'aide je peux sortir quelque chose. Avant, je vivais avec cette impression pénible que j'étais de toute façon trop instable pour réussir à produire quoi que ce soit de définitif un jour.

Tout ce qui touche aux jeux que je conçois passe par le filtre d'une unique donnée : la motivation, l'énergie, le feu, la hype, quel que soit le nom qu'on lui donne. Si elle est là, je carbure, je tourne et retourne des idées, j'écris, je conçois, j'amende, et parfois ça va suffisamment loin pour produire un playtest. Tout ce que je crée semble provenir de tout ce qu'il y a derrière moi, et une idée qui ne mène pas jusqu'à un playtest peut sans difficulté se retrouver dans un projet futur. Les meilleures idées cottoient les pires et elles portent toutes le même chapeau. Si playtest il y a, alors une bonne partie est synonyme de survie du projet, d'avancée de sa rédaction. Une mauvaise partie, au contraire, l'envoie presque directement dans la tombe, sans oraison funèbre. Plus grave, la motivation vient en plus avec une sorte d'obsolescence programmée. Même si ça marche, ça ne reste pas : je dois écrire bientôt, ou y renoncer à jamais.

Et c'est parce que tout ce qu'on crée profite de toute notre expérience, nos théories, nos entourages rôlistes, que cette "méthode" est viable à mes yeux. Un jeu de rôle n'est pas une tour de kapla qui demanderait nécessairement d'y passer des années avant de commencer à prendre un peu de hauteur. Parfois, un jeu de rôle innovant, c'est juste une bonne question à poser. Parfois, un univers fonctionnel et dense, c'est juste quelques concepts forts & tout ce qu'on peut en tirer en deux semaines de brainstorm, pas plus. Cette dimension cumulative des influences rôlistiques est à nuancer : en changeant soi-même, en allant d'expérience en expérience, certains projets qui nous tenaient à coeur deviennent caduques, certaines idées sont oubliées pour ne jamais ressortir, c'est vrai. J'ai d'ailleurs peur, parfois, de ne jamais sortir Cimetière parce que je serai tellement passée à autre chose que je n'aurai plus envie de toucher à de l'OSR souslesque. Mais à moyen terme, on peut compter sur ses influences pour nous faire conserver nos idées et nos marottes d'un projet à un autre. C'est rassurant, en un certain sens, parce que ça veut dire qu'un échec peut bien condamner un jeu, il ne condamne pas nécessairement les idées phares qui étaient derrière. On peut, dès lors, laisser son cadavre derrière soi avec un peu moins de remords de n'avoir pas fini.

Ajoutons enfin qu'un jeu de rôle n'a pas besoin d'être une oeuvre finie et polie pour commencer à vivre, comme le ferait un roman qu'on ne publie qu'une fois le texte rendu et terminé ; on peut jouer à un embryon d'idée, on peut flashtester un concept à peine établi. L'interaction entre création et motivation est donc d'autant plus susceptible de prendre la forme dont je parle ici : créer un jeu de rôle ne devrait pas être une traversée du désert, cela peut s'accompagner dès les premiers temps de toutes sortes de parties-tests desquelles tirer l'énergie de continuer. Ce serait mon unique conseil d'urgence à celleux qui se lancent dans l'écriture d'un vaste pavé de rôle et n'envisagent pas un seul playtest tant que ne sont pas finies l'écriture des intrigues de cour de la Sous-Chapelle de Wÿderstelen ni le système de combat naval en situation de tempête.

J'ai hérité des Courants alternatifs cette culture du flashtest, où l'écran bleu peut arriver dès l'explication des règles, mais je ne la pratique plus qu'avec précaution maintenant, par peur de quelque chose que j'ai volontairement laissé de côté jusque là : j'ai peur de perdre le fantasme derrière la motivation.

3 Fantasmes & frustrations

Appelons ici fantasme une projection mentale que l'on fait a priori d'une partie ou d'une campagne, une idée plus ou moins précise du genre de scènes qui pourraient avoir lieu et des sentiments et émotions qu'on pourrait en retirer. Le fantasme est un moteur important du jeu de rôle, et notamment de sa vente - on peut y voir notamment un rôle des illustrations des livres. Dans ma créativité, je suis totalement tiré en avant par mes désirs et fantasmes rôlistes. À commencer par ceux que j'appelle mes chocs esthétiques - TYPE-MOON, Dark Souls, Laputa, Persona, Evangelion. Il n'y en a pas beaucoup d'autres. Je reviens sans cesse à ces esthétiques ; en ce moment, je joue à De bile & d'acier qui touche à Evangelion, et je conçois un jeu très inspiré de Persona. Elles me poursuivent et, puisque le jeu de rôle est mon média d'expression principal, elles forment la base de mes désirs de jeu. Et ce à côté de toutes sortes d'autres envies, d'autres désirs plus passagers.

Les fantasmes, on le sait, peuvent sérieusement souffrir du contact avec le réel. Les parties ne ressemblent pas à ce que l'on souhaitait, rien ne colle tout à fait, l'esprit n'est pas trop là. C'est, par exemple, ce qui me fait garder à distance d'anciens fantasmes consistant à jouer au pas de musiques épiques et intenses, car les monts et merveilles qu'elles promettent en enflammant l'imagination ne sont jamais possibles. De ce point de vue, le jeu de rôle est un ami ingrat : il mobilise considérablement moins les sens qu'un film ou un anime, ou qu'un jeu vidéo. L'intensité y prend un sens plus diffus, plus difficile à capturer, et on apprend à faire la distinction entre une histoire passionnante et le côté balbutiant, haché, imparfait de cette même histoire passée à la moulinette rôliste. Pour me limiter un instant au jeu de rôle sur table, je n'ai trouvé un summum d'intensité que dans les jeux poétiques (qui passent par une lenteur contemplative) et dans les jeux qui misent sur les relations interpersonnelles, qu'elles soient sincères (BASQ) ou mâtinées d'une dose de drama (Monsterhearts).

Le fantasme est pour moi le fondement de la motivation. Si j'ai envie de créer et de progresser dans un projet, c'est parce que je me fais une image mentale de ce que donnerait une bonne partie, de ce à quoi elle mènerait. Beaucoup de projets - même réussis - m'ont pourtant offert quelque chose de bien différent du fantasme initial, et j'ai appris à l'accepter ; par bien des aspects, la campagne de Cimetière que j'ai faite n'est pas si proche que cela du Dark Souls rôliste de mes fantasmes, mais c'était une très bonne campagne en soi. Plus récemment, WEIRD■ est né de l'envie de jouer des histoires glauques du type de celles qu'on trouve sur la chaîne youtube de Feldup ; ce devait être un jeu générique pour m'arracher une série de fantasmes sombres sous une forme jouable. Le jeu fonctionne très bien pour moi, mais son intérêt réside surtout dans ce que son dispositif produit en termes d'interactions (dont Eugénie parle ici) et notamment dans la possibilité de jouer du fantastique jouant sur les perceptions bien plus facilement qu'un jeu avec plusieurs PJ. La présentation de WEIRD■ dans le texte est un peu à côté de la plaque, parce que je ne l'ai toujours pas reprise et qu'elle reflète bien plus les intentions de sa création que le résultat final. Sa mise en page ultra minimale est une sorte de choix nécessaire : c'est ça, ou rien.

Dans la section précédente, j'ai analysé un peu le fonctionnement de la motivation, la force créatrice, et de la façon dont la mienne s'effondre face à un échec. Le fantasme survit, prendra forme à nouveau un autre jour. Mais il y a une autre façon dont un projet se trouve empêché de sortir, dans ma compréhension actuelle des choses : face à une réussite. Un fantasme accompli, un grand désir qui se réalise, c'est un moment de satisfaction réelle mais c'est aussi la dissipation d'une frustration motrice. La frustration est sans doute le visage extérieur du fantasme qui, une fois percé, laisse échapper toute son essence. Je n'ai pas exactement fait de Cimetière la vive incarnation de mon fantasme Dark Souls, mais j'en suis arrivée assez proche pour être rassasiée pour le moment ; il devient donc d'autant plus difficile d'y revenir, d'achever l'écriture et de développer le jeu, parce qu'il a déjà délivré ce que j'attendais de lui. Je compte beaucoup sur la sortie prochaine du jeu vidéo Elden Ring pour ressusciter ces désirs passés. L'accomplissement donne bien peu de marge à la progression, et le pendant négatif de la possibilité de jouer à un jeu dès son stade embryonnaire, c'est le risque de finir d'en jouir avant la fin de sa gestation.

Je pense maintenant la création en termes de fenêtres motivationnelles : des périodes assez courtes de productivité intenses, pendant lesquelles il faut tout à la fois produire un jeu qui marche et le rédiger en grande partie, sanctionné par un ou des playtests qui le valident ou l'envoient à l'abîme. L'étape de rédaction qui m'est si difficile à la fin pourrait être intégrée en bonne part à l'étape de création, de sorte à ne laisser que des détails à arrondir. Cimetière est un échec à ce point de vue puisque j'ai réfléchi longtemps à la structure de l'écrit pendant son écriture, et décidé de totalement changer ce que j'avais prévu et voulais diffuser en plein milieu. Le résultat est une sorte de marasme.

À l'inverse, j'ai ce rare exemple d'une création qui m'a pris longtemps : Étoile&toi, un GN que je n'ai pas diffusé (il manquerait encore une bonne étape de rédaction) mais que j'ai fait jouer un bon nombre de fois et qui a demandé d'écrire beaucoup de contenu - un long contexte sous forme de journal et sept fiches de personnage détaillées. Écrire ce type de GN avec des personnages pré-établis et une intrigue très cadrée est un exercice assez différent de l'écriture pour un JDR typique, parce que l'on écrit quelque chose qui ne se rejoue pas, où l'on espère que ça marchera du premier coup pour les personnes concernées - surtout, comme dans ce cas, pour un jeu dont une session prend plus de 10h. Étoile&toi est le résultat d'environ un an de conception, marqué par une série de brainstorms construisant des idées que le suivant détruisait presque systématiquement, changeant de temps à autre toute la structure prévue. C'est finalement après 10 mois de réflexion que j'ai commencé à fixer la structure du jeu et des choses à écrire, et les deux derniers mois (des vacances scolaires) ont suffi à abattre tout le travail d'écriture nécessaire. Ce qui m'a fait tenir, c'est d'une part le fait de laisser le projet aux oubliettes de temps en temps pour y revenir avec de nouvelles idées, mais surtout le fait de traîner avec moi à la fois le fantasme récurrent d'Evangelion (Étoile&toi est très inspiré de Bliss Stage, qui puise directement dedans) et le fantasme précis de certaines scènes que je voulais voir advenir. La frustration de ne pas pouvoir jouer tant que le jeu ne serait pas écrit a été la raison de revenir régulièrement au projet. J'étais persuadé que le jeu pouvait marcher et frustré de n'avoir rien à montrer pour en jouir.

Et c'est une histoire qui finit bien. Non seulement Étoile&toi a été une réussite, mais en plus c'est un jeu qui s'est avéré extrêmement proche du fantasme que j'en avais. Cela vient sans doute du fait que je connaissais très bien les joueureuses à qui je le faisais jouer, et que ce type de jeu était très aimé et très commun dans mon club. Je ne ressens aucune dissonance en comparant le résultat avec l'intention, parce que l'intention était sensée et crédible ; tout est là. Ce que j'aimerais transmettre, c'est que la capacité à fantasmer est aussi informée par nos expériences et notre progression personnelle en jeu de rôle. Je ne rêve plus d'une scène d'action millimétrée à la seconde près pour coller à une musique épique, ni d'une description si incroyablement vivante qu'elle donnerait à chaque joueuse l'impression de vivre un film interactif en réalité augmentée. Ce à quoi nous avons joué, les parties qui nous ont élevé et les théories que nous avons absorbées nous apportent une meilleure capacité à prédire l'effet à la table de telle ou telle figure, de tel ou tel mécanisme. Je reste bien naïf dans des domaines qui ne sont pas le mien - a posteriori, l'échec du playtest de Projet Azur était très facile à prédire - mais petit à petit, je vois que j'apprends à fantasmer des choses qui peuvent fonctionner plutôt que des aberrations qui ne pourraient jamais voir le jour.

 

Je reste un peu déçu de ma propre inconstance, et je vois bien qu'écrire quelque chose de massif m'est très difficile. Projet Azur m'a prouvé qu'un mois d'écriture acharné pour mettre debout un univers vaste et plein de jolis concepts pouvait se trouver subitement arrêté par un unique playtest mal pensé. Mais j'ai, au moins, cette idée de la fenêtre motivationnelle comme espoir de création possible, et ce discours sur la motivation & les risques des crashtests : le risque d'un échec qui - même tout relatif - coupera toute force de continuer, et celui d'une réussite qui - trop satisfaisante - sapera la frustration d'un fantasme qui était à réaliser.

Il me reste, je l'espère, à trouver au moins une façon de reconstruire ma motivation pour terminer les projets comme Cimetière qui ont surtout besoin de rédaction. Ou pour revenir à des Projet Azur qui demandent surtout un playtest convaincant pour repartir sur les rails, peut-être. J'ai retenu avec Cimetière que le jeu sur une longue durée pouvait fournir une partie de l'énergie nécessaire pour maintenir le travail à flot ; peut-être devrais-je apprendre, maintenant, à dompter ce que mes parties me donnent pour en faire la matière de ce qui vient après. Je reste incertaine sur le moyen de recouvrer, si c'est possible, une partie du travail déjà abbattu sur des projets qui me tiennent encore à coeur intellectuellement. Mais je continuerai à produire au moins ces jeux à petite échelle qui viennent d'une petite série d'idées suffisamment motivantes pour passer la coupe finale, comme WEIRD■ et comme La clé des nuages

Voilà, fondamentalement, les jeux que je sais créer : les jeux du premier coup, assis sur le tas de cadavres de tous leurs prédécesseurs.