Et si on jouait... (6)

...une poignée de magiciens et magiciennes, réunies autour d'un vieux maître qui s'occupe de terminer leur apprentissage ? 

Un jeu calme dans un monde low-fantasy en paix, dans un environnement fixe - une petite ville de campagne et ses environs - qui évolue doucement. Les personnages ont déjà reçu une part de leur éducation à la magie, dans une grande capitale bruyante et hyperactive, et leur expérience d'assistant-e-s doit servir à confirmer leur grade. Plus tard, eux aussi seront dépêchés vers d'autres villes, avec des devoirs divers : veiller sur la population, résoudre des problèmes d'origine magique, pourquoi pas fabriquer charmes et talismans pour aider les gens du commun... Peut-être qu'un jeu PBTA serait adapté pour gérer petit à petit la communauté et l'évolution du monde ; en tout cas, j'aurais envie de reprendre les projets à long terme de Blades in the Dark, et peut-être des playbooks - inspirés de ceux du sympathique Beyond the Wall.

On insiste beaucoup sur le quotidien, sûrement vécu comme morne et répétitif, et on centre chaque partie sur un problème à résoudre, confié par la bourgmestre locale au maître-magicien qui décide de déléguer auprès de ses apprenti-e-s. Parfois, un mystère pique la curiosité des personnages, qui découvrent peu à peu l'histoire de la ville, affinent leurs connaissances sur la magie... et parfois, rien de spécial ne se passe.

Un jeu pour explorer de petits mystères sans importance, un quotidien à la fois enchanté et banal : Magic Together ?


Et si on jouait... (5)

...de l'horreur où personnages comme joueuses sont contraintes de rester silencieuses, de peur de se faire tuer ?

Le silence est un outil puissant. La minute de silence que propose Thomas Munier en ouverture de beaucoup de ses jeux intenses, par exemple sur Dragonfly Motel, est une pratique que j'ai reprise pour sa grande efficacité. Dans Prosopopée, les silences entre les propositions des joueuses sont générateurs de contemplation, de méditation, donnent de l'ampleur à la narration. 

En horreur, on joue sur le silence à l'intérieur de la fiction : une maison trop calme, un léger craquement audible au milieu de rien... Ce que j'aimerais exploiter, c'est le silence que s'imposent les personnages lorsque le tueur est proche et risque de les repérer en écoutant leurs respirations, leurs chuchotements, leurs pas étouffés lorsqu'ils tentent de s'échapper en douce. 

Jouons la peur d'un antagoniste particulier, un monstre qui vous repère au son et vous tue dès que vous prononcez la moindre parole en sa présence. Lorsque le monstre est là, les joueuses doivent communiquer sans parler, comme leurs personnages. Pour s'aider, on utilise un plan pour signifier ses déplacements, quelques gestes improvisés, peut-être quelques mots listés sur une aide de jeu que l'on peut pointer du doigt. Et on fait durer les scènes de rencontre quelques minutes au plus, pour éviter les singeries et conserver un maximum la tension critique, la terreur de l'instant. Une synesthésie entre la situation de crise rencontrée par les personnages - la confrontation avec une horreur extrêmement dangereuse  - et celle des joueuses qui d'un coup perdent la capacité à communiquer librement.

Peut-être aussi qu'on se donne un mécanisme de résolution aléatoire qui permet de fuir, de se battre, de réaliser quelques actions simples. On jette le dé, le résultat permet aux autres de comprendre ou deviner ce que l'on a fait - et ce qui en a résulté - sans avoir à parler. Alors, peut-être que l'on jouerait un combat silencieux, où la fiction n'est plus claire parce que l'interprétation est impossible sur le moment. Debriefer la rencontre, même entre personnages, pourrait être une intéressante confrontation des maelströms des différentes joueuses.

Si cet effet est majeur, il faudrait adapter la fiction en décrivant qu'en plus, le monstre brouille l'espace, la compréhension, la vision peut-être, en empêchant aux personnages de bien comprendre ce qui se passe. 

Un jeu tactique, où l'on fait ce que l'on peut malgré le flou horrifique dans lequel on est plongé.


Et si on jouait... (4)

...une nouvelle aventure des Shadoks, qui n'ont de plus terrible adversaire que leur propre bêtise ?

Pour celleux qui ne connaîtraient pas, Les Shadoks est une série d'animation française loufoque, aux épisodes très courts (2min) diffusés entre 1968 et 2000. Les bestioles qui donnent leur nom à la série - des espèces d'oiseaux - sont un peuple crétin qui décide de s'installer sur Terre, une planète vierge, parce que leur propre monde d'origine est invivable. Je recommande vivement la série pour son humour absurde et ses histoires abracadabrantes.

Jouons quelques dirigeant-e-s du peuple shadok : le roi, le professeur Shadoko, le devin-plompier, ou d'autres que nous inventons, avec une caractéristique particulièrement identifiable. Choisissons un enjeu pour la partie, comme "coloniser une nouvelle planète" ou "inventer un nouveau sport national", et jouons en alternance nos personnages et le monde qui évolue en conséquence de nos actes.

Pour structurer la partie, nous pourrions procéder ainsi : nous établissons dès le début et en commun 3 étapes-clés pour réussir le but. Par exemple, 1. fabriquer une nouvelle sorte de ballon ; 2. en munir le peuple shadok, avec des règles absurdes et impossibles ; 3. choisir les meilleures règles et organiser une grande démnstration. On joue pour réaliser les étapes dans l'ordre, avec un impératif : ne jamais compléter une étape telle qu'elle a été écrite, toujours faire quelque chose d'autre.

Lorsqu'un personnage tente de résoudre un problème, la joueuse imagine sans le dire la solution choisie par son personnage. Par défaut, on part du principe que n'importe quelle solution peut marcher, sans aucune restriction ; par contre, il faut réussir à l'expliquer. Pour ce faire, la joueuse dessine sa solution, en quelques cases de BD au maximum, et sans utiliser d'autre texte que le langage Shadok : GA, BU, ZO, MEU. Avantageusement, les Shadoks sont très faciles à dessiner, tout le monde en est capable. Si les autres joueuses comprennent d'elle-même la solution, le problème est résolu, sinon elles doivent aussi expliquer en quoi la solution ne marche pas et crée des complications supplémentaires. 


Et si on jouait... (3)

...des rois prophètes, des Cassandre couronnées, à la tête d'un vaste empire promis à une fin funeste, à une calamité majeure ? Des personnages qui peuvent lire le futur et ont les moyens d'agir, mais qui auront tellement de mal à empêcher leurs visions de se réaliser. 

Un meneur de jeu prépare un premier cataclysme inévitable, puis une série de révélations, sur des post-it face cachée, chacun assorti d'une date visible par toutes les joueuses. Par exemple : 
1 inévitablement, de vils cultistes ouvrent une Porte Sombre qui déverse sur le monde un flot de démons sanguinaires
2 dans dix ans... (sûr de la défaite, le général des armées fera sécession et abandonnera l'Impératrice, sauvant ceux qui comptent pour lui en voyageant vers des terres lointaines)
3 dans vingt ans... (la Tempête, avatar d'un prince démon, ravagera la capitale)
4 dans trente ans... (l'Impératrice, en pleine campagne pour reprendre ses terres depuis l'exil, mourra empoisonnée par un valet)
5 dans cent ans... (la retraite planaire du Magistérium sera attaquée ; le dernier bastion de la civilisation telle qu'on la connaissait tombera)
6 dans deux cent ans... (ce n'est plus qu'un vent de cendres et de mort qui soufflera sur les terres désolées de ce qui était autrefois l'Empire)

On peut raconter l'histoire au présent, la lutte, ou avancer dans le temps quand on veut rattraper l'un des faits prévus par le meneur. Un mécanisme permet de découvrir à l'avance certaines révélations du meneur, et un autre permet de tenter d'en endiguer le déroulement. Peut-être faudrait-il que les révélations soient plus complexes, et comprennent par exemple une cause cachée qu'il faut découvrir en enquêtant astucieusement si on veut avoir une chance d'éviter la catastrophe. Ces deux mécanismes sont limités, peut-être par une ressource commune : doit-on dépenser toutes ses forces à lutter contre les menaces qui pèsent actuellement sur l'Empire, ou bien prendre le temps de prévoir les affres futurs pour mieux s'y préparer ?

Idéalement, le jeu donne la possibilité d'éviter complètement la ruine, mais c'est dur, il faut être malin et avoir un peu de chance. Un peu comme survivre à un scénario de Sombre. Un jeu tactique, où l'on se bat pour la survie de tout un peuple, qui potentialise un jeu moral, où l'on doit choisir ce qui est sacrifié lorsque l'on a échoué à sauver tout à la fois.

Un hack évident : jouer des personnes politiques, des climatologues, qui voient venir le désastre environnemental.


Et si on jouait... (2)

...la dernière partie d'une longue, longue campagne de D&D, sans toutes celles avant ?

Les campagnes auxquelles je participe sont courtes. Je crois n'avoir jamais dépassé la vingtaine de séances ; au-delà, ma motivation s'évanouit.

Quand je joue à un jeu de la veine old school renaissance, parfois j'ai envie de voir ce qu'il y a après trente ou cinquante ou cent séances, après avoir trimé pendant des années pour comprendre quel grand complot planaire menaçait le monde, lutté acharnément contre les serviteurs du Mal et finalement trouvé le moyen et la détermination pour aller affronter la source de tous les maux dans son repaire.

Peut-être qu'un jeu orienté pour des one-shots le permettrait. Un possible squelette, comme je vois les choses :
1 On reçoit une classe typique (Guerrier, Clerc...) mais on la renomme : Maître-lame des douze lotus, Avatar de la déesse du Courage, et ainsi de suite.
2 Dans une première phase, on explore les alentours du repaire du Mal Élémentaire et on se permet d'inventer des armes, sortilèges, pouvoirs divers qui permettent aux personnages de progresser facilement malgré l'adversité. On prend le temps de donner une anecdote pour chacun,  et un titre associé : j'ai gagné cette épée stellaire en défiant un grand démon qui menaçait la cité volante d'Aerast, dont l'Impératrice m'a nommé Protecteur Éternel en reconnaissance.
3 Les anecdotes sont racontées et jouées, mais soit le cadrage de la scène soit la façon dont l'histoire a été résolue est choisi par les autres joueur-se-s et pas par celui ou celle dont on raconte l'histoire, à la façon de Fiasco
4 Pour plus d'ampleur, on réfléchit aux éléments en questions - les Atouts - en leur attribuant une grande qualité qui dépasse l'usage qu'on leur imaginait, et un grand défaut comme une malédiction dangereuse. Puis-je ramener à la vie un ami mort au combat ? Oui ! Je peux même faire ressusciter la population massacrée d'une ville entière ! Mais à chaque fois que j'use de ce pouvoir, mon âme se fractionne un peu plus et le monde m'apparaît plus noir et froid, fade et distordu, cauchemardesque. 
5 Dans un second temps, on entre dans le saint des saints qui protège le Mal Élémentaire. Les personnages n'ont plus d'autre joker, ils doivent jouer avec ce qu'ils ont défini dans la première phase. L'adversité est plus forte, et on affronte en combat toutes les némésis oubliées, les généraux ennemis qu'on aura pris soin d'amener dans les descriptions de la première phase, les doubles maléfiques, les dieux rivaux. 
6 Peut-être que l'on survit, peut-être que l'on meurt, peut-être que l'on finit damné pour l'éternité même si l'issue de la confrontation est positive. Les vainqueurs écrivent l'Histoire.
7 Les règles encadrent les ressources vitales, le combat notamment, peut-être un peu le character skill, et gardent un côté OSR. Les Atouts sont gérés avec des dés de risque, comme dans Macchiato Monsters.
8 Elles encadrent aussi une phase 0 de création du monde, où l'on décrit surtout le fameux repaire du Mal Elémentaire. Une forteresse dans les profondeurs, le château du Roi transformé en trône démoniaque, d'antiques ruines au coeur d'un marais maudit ?

Quitte à fixer quelques éléments techniques simples, le jeu est testable, à petite dose au moins. Pourquoi pas un jour, sur le Discord des Courants alternatifs ! La phase 1 où l'on explore et crée les Atouts est probablement très artificielle en l'état, il faudrait quelque chose de plus élégant.


Et si on jouait... (1)

...un road-movie halluciné et nocturne, à travers les yeux d'un enfant qui ne comprend pas pourquoi ses parents l'emmènent soudainement loin, loin d'ici, en essayant de contenir leur inquiétude ?

L'an dernier sortait en salles Midnight Special, un film de Jeff Nichols qui m'a beaucoup marqué pour sa gradation de l'étrange et du mystère. Un père arrache son jeune fils aux mains d'une secte catholique étrange et se lance dans un périple de nuit vers une destination inconnue. Les adultes sont soumis à beaucoup de tension mais il faut attendre longtemps avant d'en comprendre l'origine. 

Ce n'est pas tout à fait le pitch du film, mais : jouons un enfant à l'arrière de la voiture, qui voit des lumières folles dans le ciel, qui entend une annonce absurde à la radio. Jouons le dialogue avec le parent, qui tente d'expliquer sans dire.

Un jeu pour deux, dans l'attente et l'angoisse. À jouer, pourquoi pas, dans le format que propose De Profundis : dans le noir, confortablement installé-e-s dans un canapé et dans la fiction, sans interruption, à la recherche de transe & fascination ?