Le jeu symboliste (1) : les bases

Cet article est né de longues interrogations internes, et est un premier pas pour comprendre une pratique qui est fondamentale pour moi et qui a soutenu la plupart de mes meilleures parties. Ce qui suit est une première pierre, vouée à être développée, précisée, transformée si nécessaire. Il y aura probablement d'autres articles sur le sujet, et il est aussi possible que ce texte soit en partie remanié et édité.

Merci à Valentin et Felondra pour toutes les clarifications, le vocabulaire et les réflexions qui m'ont permis d'enfin mettre le doigt sur ce dont je voulais parler. 


Avant d'en dire plus, commençons par préciser ce que le jeu symboliste n'est pas. Il ne s'agit pas, ici, de parler des jeux dans lesquels la fiction fait intervenir du symbolisme plus ou moins ésotérique,  comme le feraient par exemple Nephilim ou L'appel de Cthulhu. C'est ce qu'on pourrait appeler le symbolisme intradiégétique : il fait partie de la fiction, de l'univers de jeu.

Jouer symboliste, c'est faire du jeu de rôle en créant des symboles, et en les utilisant pour renforcer voire pour porter la fiction. C'est donc une pratique qui se situe au niveau des joueurs et des joueuses, et qui peut être complètement invisible aux yeux de leurs personnages.

Définir le jeu symboliste

Commençons par un exemple, pour y voir un peu plus clair.

Sous les lumières dansantes du feu d'artifice, nos lèvres se frôlent. Pour la première fois, nous nous embrassons.
[...]
Je relis son SMS, l'air médusé. Alors, ça y est, je suis à nouveau célibataire. Je pousse un grand soupir et jette un oeil aux préparatifs de la fête d'anniversaire surprise, autour de moi. Morne, je saisis une poignée de confettis, que je lance mollement en l'air. Ils retombent comme un feu d'artifice ridicule, dans une pluie de couleurs mièvres et fades.
Ce sont deux moments d'une histoire, présumément le début et la fin d'une romance. Sans plus de détails, l'intrigue se résume à peau de chagrin : deux personnages s'embrassent, et plus tard se séparent par SMS. Mais il y avait une chose en plus : cette histoire de feu d'artifice, un lien visuel qui se surajoute à l'ensemble. La connexion supplémentaire qu'ajoute ce visuel n'est pas cruciale - on ne perd rien à l'intrigue si on supprime le feu d'artifice - mais renforce l'effet de la rupture en exprimant la même chose sur un plan symbolique, ou en amenant une nuance. Si le feu d'artifice représente l'amour entre les deux personnages, alors le ridicule feu d'artifice en confettis de celui qui reste à la second scène signifie peut-être qu'il garde encore les restes de sentiments amoureux à l'égard de l'autre, mais qu'ils sont amoindris, affaiblis, et surtout qu'ils ne sont plus partagés.

C'est ça, jouer symboliste : connecter des éléments esthétiques pour enrichir des moments de narration clé. Voici quelques définitions utiles, qui me viennent de Valentin :


1. Un symbole est un élément fictionnel (mot, image, son, acte...) qui, par association, représente quelque chose de plus.
2.  Plusieurs symboles reliés forment un réseau symbolique
3. La symbolique est l'effet produit par la mise en relation de symboles, c'est-à-dire la mobilisation d'un réseau symbolique pour enrichir ou altérer le sens d'un élément en jeu.

Le point 3 n'est pas très parlant ! Défricher le terrain des effets possibles me semble un gros boulot. Avant cela, j'aimerais m'attarder sur les origines possibles des sens multiples que l'on associe à un symbole. D'autres articles discuteront plus tard de l'utilisation de la symbolique.

Liens importés et liens internes

Si un symbole est un symbole, par définition, c'est qu'il évoque quelque chose d'autre - qu'il mobilise un réseau symbolique pour donner plus de sens à un élément fictionnel auquel on s'intéresse maintenant. 

En jeu de rôle, on peut distinguer grosso modo deux origines possibles pour les  liens entre les symboles : venus de notre imaginaire commun, ou construits pendant le jeu. Appelons les premiers "liens importés" et les seconds "liens internes". 
[Digression : la distinction me semble claire mais il y a une certaine porosité. Un lien construit pendant une partie puis réutilisé pendant toute une campagne finira peut-être par appartenir à l'imaginaire commun d'une table, et pourra donc être mobilisé dans d'autres campagnes plus tard, exactement à la façon d'un lien importé. Egalement, un lien importé peut n'être clair que s'il est reconstruit pendant la partie ; auquel cas il ressemblera plus à un lien interne.]

Dans l'analyse de l'exemple précédent, je me suis focalisé sur ce second point ; le feu d'artifice est chargé de sens dans la première scène (il représente la passion amoureuse) et ce sens est exploité dans la seconde scène. Mais chaque personne vient à la table avec ses références, ses capacités d'interprétation, et chaque symbole d'une partie peut aussi porter du sens en mobilisant un réseau symbolique qui préexiste à la partie. Est-ce que dans la première scène, le feu d'artifice n'amenait pas déjà une symbolique pertinente ? Le feu de la passion, l'explosion de couleurs rapides et magnifiques qui percent la nuit, voilà qui représente une forme de passion amoureuse, voilà qui apporte une nuance à ce premier baiser en mobilisant tout un cadre interprétatif que nous avons déjà.

On pourrait aller plus loin et dire que chaque signe, chaque élément qui intervient dans nos parties est un symbole qui porte toutes sortes de sens. Une part de ceci est commune à toutes les personnes autour de la table : le feu est un exemple facile de symbole très évocateur et chargé de beaucoup de sens. Si, dans un univers fictionnel, j'annonce que pour libérer les gens touchés par la Corruption Démoniaque, il faut les brûler, tout le monde autour de la table va opiner du chef, parce que cette image est parlante et claire. En France, elle évoque les bûchers, par exemple. Le feu purificateur. Une autre part de la symbolique peut être plus personnelle et invisible. Si je suis agoraphobe et que mon MJ me décrit le grand centre commercial bondé où mon personnage va faire ses courses de Noël, il mobilise sans le savoir une image étouffante et angoissante dans ma fiction alors qu'il voulait en faire quelque chose de moins chargé. Il faut aussi voir que les symboles qui veulent dire quelque chose pour tout le monde, comme le feu, n'ont jamais pour autant les mêmes nuances, les mêmes sens précis.

Je postule que la symbolique, il s'en produit déjà un peu à toutes les tables, de façon plus ou moins consciente. Souvent, cependant, l'effet est mineur : tant que les symboles dorment, que l'on ne joue pas pour les mettre en valeur, leur sens ajouté n'apporte pas grand-chose. Peut-être que le feu d'artifice était juste un bout de description pour faire joli, qui aurait pu être remplacé par un concert ou une fête.

Pour que les effets de la symbolique ne soient pas des coïncidences accidentelles, qu'ils soient utiles et permettent de dire quelque chose de plus, il faut donc un ensemble de techniques de jeu. C'est cela, le jeu symboliste.

Dans la suite de cet article, je vais mettre en sourdine l'utilisation des liens importés. Analyser ce qui se passe lorsque nous y faisons référence, et comment nous faisons pour montrer que telle ou telle symbolique est effectivement pertinente et importante maintenant, me semble très compliqué. Je vais donc surtout parler de l'autre versant, les liens internes, même si l'essentiel de ce qui suit vaut pour les deux.

Le jeu symboliste : les deux mouvements

La symbolique est l'effet produit par la mise en relation de symboles. Comme les symboles sont des éléments fictionnels, cela veut dire que la symbolique va intervenir lorsque l'on décrit de tels éléments dans la fiction.
[Digression : "décrire" est à prendre au sens large : comme les symboles peuvent être des actions, les décrire peut simplement être le fait de les mettre en scène. "Je me jette sur lui et je le poignarde" est une description qui fait intervenir le symbole "poignarder" - comme Brutus avec Jules.]

En suivant cette définition, je pense que l'on peut voir de façon très schématique deux mouvements, deux catégories d'actions différentes en jeu qui vont permettre de déployer le jeu symboliste dans une partie :
1. transformer un signe en symbole, en lui donnant d'un sens particulier, ou enrichir un symbole qui existe déjà. On dit qu'on charge un symbole.
2. Faire intervenir un réseau symbolique pour donner du sens ou apporter une nuance à quelque chose qui se passe dans la fiction. C'est là qu'on parle de symbolique et on dit qu'on mobilise.

Il y a sans doute de nombreuses façons de charger et de mobiliser, mais je ne suis pour l'heure pas du tout capable de faire une typologie plus précise.
Il faut forcément qu'un symbole soit chargé (1.) pour être ensuite exploité (2.), mais il faut voir que souvent le moment de réutilisation apporte aussi un nouveau sens au réseau symbolique et enrichit le symbole, de sorte que lorsque 2. se produit, en général 1. se produit aussi.

Dans l'exemple du feu d'artifice, il se passait probablement longtemps entre les deux scènes. En fait, la mobilisation peut se passer juste après la charge :

Fébrile mais déterminé, le jeune architecte descend une à une les marches du grand escalier noir, plongeant dans les profondeurs obscures du château.
De son côté, le vieux chevalier gravit plein d'entrain les marches de l'escalier qui mène aux remparts. Le château est baigné de lumière, le soleil éclatant fait briller ses pierres dorées
Cet exemple vient de ce compte-rendu d'une partie de Déclin et les deux actions sont issues de narrations de deux personnes différentes. Je jouais le vieux chevalier, et je me suis emparé à la volée des symboles que manipulait l'autre joueuse (l'escalier qu'on descend, le château sombre) pour montrer combien mon personnage était à l'opposé du sien (l'escalier qu'il monte, le château lumineux). Ces liens en font ressortir un autre, la jeunesse de son personnage opposée à la vieillesse du mien, et montrent sans que ce soit jamais dit que nos personnages sont dans des dynamiques contraires, sans qu'aucun autre contexte ne soit nécessaire.

Et après ?

Mon espoir est que cet article donne le vocabulaire pour permettre d'analyser le jeu symboliste. Je suis resté très théorique pour le moment ; maintenant que le sujet est ouvert, on se revoit bientôt pour voir ce qu'on peut faire avec. J'ai un sac plein de trucs à discuter, mais ce sera pour une autre fois ; à bientôt !

Et si on jouait... (16)

...les rédactrices et lectrices d'un blog réenchanteur, peut-être fantastiquement complotiste, peut-être sombrement ésotérique, peut-être juste magique ?

Plusieurs projets de jeux autour de moi se posent la question du réenchantement du monde, via une grille de lecture que l'on superposerait à notre quotidien. C'est l'idée d'un GN inspiré du jeu de rôle Happy Together, imaginé par Arjuna Khan ; c'est l'idée des balades sludgecore de Thomas Munier ; c'est aussi, dans un registre différent, celle de Nephilim et notamment d'un hack narrativo-végan en cours d'écriture par Mathieu Leocmach.

Mais aujourd'hui je pense surtout à Sur la route de Chrysopée, le jeu de rôle épistolaire de Morgane Reynier où deux personnes incarnent un alchimiste et son apprenti qui s'échangent des lettres et rendent compte de leurs découvertes. Si je ne me trompe pas, le jeu invite notamment à s'envoyer des photos pour les réinterpréter, à voir ce que l'on voyait déjà sous un autre jour.

Les jeux épistolaires restent un grand mystère pour moi qui n'y ait jamais touché, et je me demande ce que nous pourrions faire d'un blog ou un forum où tous les posts doivent être anonymes. Une base - quelques paragraphes tout au plus - fournirait une nouvelle grille de lecture au monde : les fées existent et elles ont laissé des traces magiques un peu partout ; les voyageurs temporels sont parmi nous, et ils ont un message à nous faire passer ; ou carrément : nous sommes des mages, et nous cherchons à comprendre les champs de force qui traversent le pays. Puis des utilisatrices du forum posteraient leurs propres découvertes, photos, théories sur toutes sortes de faits, réflexions sur l'impact de la magie dans l'histoire. Sans chercher à se faire rire - il ne s'agit pas de se moquer des complotistes et des théories qui existent déjà, mais plutôt d'en imaginer de toutes nouvelles à vocation de découvrir ensemble des merveilles secrètes.

Un pur support de spéculation symboliste et de douces réinterprétations. Un jeu épistolaire anonyme, où l'on ne sait jamais qui participe. 


Et si on jouait... (15)

...une terrible histoire de vengeance, romanesque et familiale, jusqu'à son accomplissement et surtout au-delà ?

Dans la culture populaire, combien de fictions linéaires sont des histoires de vengeance ? Parent, amant-e, fils ou fille, un personnage perd quelqu'un de cher et se lance dans une longue quête vengeresse qui le mène vingt ans plus tard à retrouver la cause de son malheur pour lui faire payer son crime. S'il faut finir bien, alors le personnage, délivré, peut enfin reprendre une existence normale ; sinon, le goût de la victoire est amère et la mort laisse un grand vide.

Et après ? 

Jouons les quelques conjurés qui jurent de faire chuter une sorte de figure du mal à qui l'on reproche un drame terrible. A la façon de Polaris, soyons quatre : un-e protagoniste déterminé-e ; un-e ennemi-e juré-e ; un-e ami-e loyal-e, mais inquiet-e ; et une quatrième personne qui poursuit l'ennemi, mais pour une raison différente. Le sentiment d'injustice remplace le Zèle, et diminue au profit du Cynisme. Tuer l'ennemi est un passage obligé du jeu ; à la suite de quoi, celle qui l'incarnait joue  son fantôme, ou simplement les pensées délétères du monde, la rumeur populaire.

Explorons le malaise que produit le meurtre, l'effondrement d'une vie construite sur la vengeance, le retour impossible à la normale. Est-ce que cela valait le coup ? Quel cycle de la vengeance entérine-t-on, comment s'en libérer ?


Et si on jouait... (14)

...une séance de team-building en outer workspace, entre start-uppers venus brainstormer leur business model ?

Les personnages incarnés, en plus du leader qui n'est pas un PJ, sont ensemble dans un lieu éloigné de la ville et isolé. Par exemple un chalet dans la montagne, le temps d'un week-end. C'est le moment de mettre de côté ses petites histoires personnelles et de réfléchir grand pour enfin disrupter le cash-flow. Peut-être aussi une idée géniale viendra-t-elle de cet instant d'apaisement et de réflexion ? La forme de cette montagne, la façon dont ce nuage l'évite, n'est-ce pas une parfaite image de la stratégie qu'il nous faut adopter pour nous démarquer de la concurrence ?

C'est un théâtre pour Inflorenza. Six thèmes représentent six tendances, six grands courants, idées générales sur l'entreprise ou plutôt sur le monde - car la correspondance est évidente. Ce ne sont pas des mots, mais de courts messages inspirants et profonds sur fond de stock-photos de coucher de soleil. On les tire aléatoirement grâce au générateur InspiroBot. Les tirages ne sont pas toujours très parlants, il vaut mieux donc prendre le temps d'en regarder un certain nombre avant d'en sélectionner 6 ensemble. Pour plus de fluidité, chaque joueuse en sélectionne un ou deux en avance et on choisit les 6 en mutualisant.  N'hésitez pas à déployer une forte valeur symbolique autour de chacun ; n'importe quel message parle de l'entreprise quand on se force un peu !

Avant de commencer chacun choisit deux des six images-thèmes et explique en quoi c'est un message qui lui semble relié à l'entreprise ; puis on joue. Si on n'a pas de matière pour discuter entreprise et rentrer dans le vif du sujet, on peut commencer par de simples scènes de vie : se tromper de route pour venir, aller faire des courses dans le village proche, essayer de faire marcher le chauffage, etc.

Quelques adaptations de règles. Si un personnage disparaît (c'est-à-dire, lorsque toutes ses phrases sont perdues), c'est qu'il ne supporte pas le rythme et a quitté l'entreprise. Il rentre chez lui et change de métier. La première joueuse dont le personnage disparaît peut jouer le leader, qui était jusque là un PNJ. Ensuite, il n'y a plus d'ajout de personnages donc les éventuels autres joueuses sans personnage terminent la partie en s'occupant du décor et en suggérant des idées.


OSR : changer de ressources, changer de questions

Je viens de poster sur les Courants alternatifs le compte-rendu d'une courte partie qui devait explorer une question qui me taraude : si l'OSR est défini par le fait de n'avoir de règles que pour gérer les ressources et leur attrition, à quel point peut-on changer les jeux si on change les ressources ? Dans ce test je voulais des règles qui parlent surtout d'empathie, de foi, de symbolique... pour viser une partie contemplative mais qui garde le feeling OSR. Ouvrir son esprit, prier, certes, mais toujours pour éviter des pièges et des dangers, pour être plus malin que la préparation de la meneuse ! Dans le lien ci-dessus, j'explique notamment ce que sont les "pièges mystiques" que je voulais essayer de mettre en scène. Globalement le résultat est très positif.

Je veux aller un peu plus loin et proposer une lecture qui explique ce qui s'est passé. L'OSR est une guerre de questions ; les ressources habituelles orientent ces questions. J'ai des points de vie, donc je crains l'attrition physique, donc j'ai peur des pièges à fléchette. J'ai des pouvoirs limités, je peux les utiliser pour résoudre mes problèmes mais seulement un nombre fixe de fois par jour.

D'autres ressources, cela veut dire d'autres possibilités d'action. Regardons-les comme des questions que l'on pose à son environnement ; voilà ce qui change :

1 Que peut-on interroger ?
2 Quelles questions peut-on poser ?
3 Comment pose-t-on une question ?

Comparons :
1 On n'interroge plus le mur, les fissures, le plafond à la recherche de pièges classiques, car dans le contrat de jeu j'ai dit qu'il n'y en aurait pas. Mais on interroge un fossile, un cadavre, un pilier mystique.

2 On utilise toujours les sens physiques du personnage, ce qui permet de poser des questions sur ce que l'on voit, entend, etc. On peut aussi demander à sentir l'atmosphère d'un lieu, les sentiments résiduels, les échos de son passé. Ce sont des actions naturelles qui servent à détecter les pièges mystiques.

3 Les questions en OSR se formulent souvent à hauteur de la joueuse, qui interroge la meneuse sur ce qui entoure son personnage. Ici, on pose une question en méditant, en tentant de comprendre les êtres qui vécurent il y a très longtemps, en priant. Comme les questions sont d'une sorte plus sensible, elles impliquent forcément le personnage.

Je pense que j'ai trouvé une façon satisfaisante pour moi d'utiliser le fameux supplément Veins of the Earth. Il me reste à trancher : est-ce que je coupe la dernière caractéristique physique - celle qui s'appelle Survie - ou est-ce que j'en régénère une ou deux de plus, comme Force et Dextérité, pour permettre quand même de jouer les sensations crues de l'attrition ?

Et si on jouait... (13)

...les mages dotés du souffle de vie, qui ressuscitent les grandes figures du passé pour mener les quêtes du présent ?

Dans un monde très ancien qui a oublié les nom de ses royaumes et de ses empires, de ses dieux et déesses, une sourde menace plane. Il faut revenir dans les temples en ruines, dans les donjons abandonnés, dans les villes perdues pour arracher aux griffes de serviteurs noirs quelques révélations sur les ténèbres à venir. Il faut envoyer des champions défaire les démons qui surgissent des profondeurs et les dragons des tempêtes devenus fous, reconstruire les arches célestes qui reliaient les royaumes. Mais à cette sombre époque, plus personne n'a la force ou le courage de mener à bien ces grandes quêtes.

Alors les gardiens des âges passés, celles et ceux qui savent insuffler la vie, descendent dans les cryptes et font revenir les héros et héroïnes qui ont bâti les royaumes, vaincu les Titans, défait les légions des Abysses. Les joueuses ne peuvent réincarner que les personnes qui partagent un trait de personnalité ou une caractéristique divine avec leur personnage : chaque nécromancie s'accompagne d'un souvenir du PJ qui le lie de près ou de loin à la figure mythique. Il faut ensuite la convaincre de mener la quête qu'on veut lui confier - peut-être la légende ne dit-elle pas combien la championne ressuscitée était amère et cynique à la fin de sa vie, peut-être va-t-elle refuser de se mettre en route une nouvelle fois.

On raconte ensuite la quête en quelques minutes, en racontant ses quelques grands épisodes et les zones d'ombre qui perdureront du point de vue des PJ. Parfois c'est une réussite, parfois cela finit mal. 

Un système de règles possible : Inflorenza. Les mages commencent avec une phrase fondamentale qui traduit leur pensée et leurs espoirs. A chaque figure réinvoquée, un mage transmet sa phrase fondamentale, et en écrit une seconde qui est choisie pour l'occasion. La réussite de la quête est un conflit joué avec les phrases de la figure, où l'échec mène forcément à la mort ; les phrases qui sont gagnées après peuvent être indifféremment écrites sur la feuille de la figure ou sur celle du mage. L'échec, c'est toujours la mort de la figure. Les mages peuvent toujours intervenir à distance dans les conflits pour aider leur champion, mais s'exposent à la possibilité de perdre des phrases et donc de mourir. 


Et si on jouait... (12)

...une lutte mortelle pour la divinité, dans un chaos terrible, tandis que les mondes se mélangent et se broient ?

L'heure est venu pour les divinités qui ont bâti le multivers. Leurs oeuvres craquent de toute part, des connexions subites engloutissent des pays dans d'autres mondes, toutes les dimensions fusionnent petit à petit et convergent en un seul point. Un monstrueux, gigantesque chaos où se mélangent les restes éventrés de milliards de civilisations dont plus personne ne se souviendra, toutes époques confondues. L'Amazone coule sur sur le château d'Hyrule, les restes de l'Etoile Noire implosent en se refermant sur le gouffre de Helm. Une Apocalypse qui n'en finit pas de s'étirer, dans ces restes brisés qui convergent lentement.

Mais d'autres les remplaceront. Jouons pour incarner les champions ambitieux qui voyagent dans le chaos pour en retrouver le point d'origine, là où tout commence et où tout finit. Quand le cycle sera achevé, un nouveau monde naîtra, dont les personnages rêvent d'être les nouvelles figures divines. Humain-e-s ou monstrueux-se-s, archimages ou tueurs à gage, explorateur-ice-s intrépides ou rois et reines avec leur suite, tous et toutes viennent de mondes distincts - et la concurrence sera terrible.

Une course pour la divinité à travers un décor apocalyptique, où chacun porte des armes et des avantages complètement différents. Chaque joueuse décrit le monde d'origine de son personnage ; on peut se laisser libre de tout utiliser ou donner de fortes contraintes de style pour que chaque monde soit comparable à un autre : seulement des âges de chevalerie, par exemple. J'imagine une structure où chaque personnage est seul, et où l'on joue séparément chaque rencontre avec un-e autre Aspirant-e à la divinité, qui doit se conclure par la mort ou le renoncement de l'un-e des deux. A la table, deux personnes jouent leur affrontement, tandis que les autres sont tous-tes en position de MJ et s'investissent dans la description du monde. Il faut que ce soit beau !


The Dreg Heap - Dark Souls III

Contraintes VS ouverture

Je classe très grossièrement en deux catégories les jeux de rôle qui proposent aux joueuses d'inventer la fiction à la volée. Ceux qui n'incitent pas à se reposer sur un scénario ou sur une meneuse talentueuse, mais sur les idées de toutes les joueuses et surtout sur un système de règles utilisé comme béquille pour avancer dans une direction intéressante. D'un côté, les jeux qui sculptent par la contrainte ; d'autre part, ceux qui évasent, ceux qui ouvrent des possibilités. Moins de possibilités créatives VS plus de possibilités créatives. ("Créatif" au sens très large : créer le monde, le contexte, tout autant que créer la fiction en disant "j'avance tout droit dans le couloir"). 

Mes exemples antagonistes sont Apocalypse World et Inflorenza. Le premier contraint beaucoup la fiction à correspondre au canon d'une sorte de série TV dans une post-apocalypse à la Mad Max. Les personnages sont construits à partir d'archétypes bien précis, on n'a d'impact qu'en utilisant l'un des quelques moves mis à notre disposition, chaque move a une liste de conséquences possibles finie. La créativité des joueuses s'exprime à travers des choix difficiles, qui imposent un positionnement ; et elle s'exprime en creux des contraintes. Mon hardholder est un incroyable bourrin qui règne par la terreur, mais le +1 de Sharp que je lui ai mis pour le personnalisé un peu va me pousser à révéler un autre aspect de sa personnalité. Mon gunlugger est un tueur inarrêtable, mais j'ai envie de dévier un peu des clichés, alors j'en fais un timide bonhomme qui préférerait ne pas trop avoir à sortir les armes. 

A l'inverse, tout dans Inflorenza semble fait pour laisser un maximum de liberté aux joueuses. L'univers forestier de Millevaux, déjà, est une non-contrainte, un monde conçu pour être  la fois un bac à sable aussi large que possible et le cadre de toutes les histoires que l'on voudrait pouvoir raconter (du moment qu'elles soient tragiques ou dégueulasses !) : 
+ l'Oubli génère toutes sortes d'histoires possibles pour retrouver ce qui a été perdu, et permet les révélations les plus hasardeuses : Vador, je suis ton fils. Mais on peut aussi l'ignorer si on veut, en jouant un Gnome ou un Corax.
+ l'Emprise justifie toutes les transformations possibles, qui rendent plausibles les révélations : Vador, j'étais ton fils
+ l'Egrégore justifie ou bien la télépathie, ou bien la capacité à ressentir à distance les événements importants pour permettre à n'importe quel personnage de s'y rendre
+ et ainsi de suite...
Dans le système de résolution d'Inflorenza, on retrouve un peu de l'envie de donner des contraintes créatives pour aider à amener l'histoire, à travers la mécanique de conflit qui peut imposer les réussites ou les échecs, voir la mort subite des personnages. Souvent on jette les dés pour être surpris. Mais les conflits peuvent toujours être évités si la table ne voit pas l'intérêt de les jouer, les conséquences en sont intégralement décidées à l'avance par les joueuses, les retombées sont des phrases librement écrites - suivant un thème tiré au hasard... ou non. Bref, le coeur de jeu ouvre des possibilités au lieu d'en fermer.
J'avoue ne pas avoir poussé très loin la réflexion - je crois que l'essentiel des jeux de rôles qui sont concernés par ce Fragment sont intrinsèquement à la fois des jeux à contraintes (qu'on a très envie d'appeler "jeux forgiens"...) et les jeux à ouverture. J'ai même peur qu'elle soit une grille de lecture assez médiocre pour réfléchir aux mécaniques et aux propositions des jeux de rôle ! Mais elle ne m'intéresse pas en soit, elle me sert seulement à parler d'un problème bien précis que j'ai avec les jeux à contrainte, notamment les PBTA. 

Mais ça, ce sera une autre histoire. To be continued :o)

Et si on jouait... (11)

...la douce reconstruction d'un Royaume qui a remporté la victoire dans la guerre contre le Grand Ennemi, mais au prix de la dévastation ? 

Des millions de morts, une nature ravagée, la misère à tous les niveaux et dans toutes les villes. Le monde est exsangue, presque invivable, malade ; mais maintenant l'espoir peut renaître. Alors on incarne des chevaliers, des petits seigneurs et des dames, des prêtres et des magiciennes, et l'on fait ce que l'on peut pour que le renouveau se passe bien. On apaise les conflits qui se sont formés pendant la guerre, et qui avaient été étouffés par l'effort collectif. On retrouve les anciens savoirs, les technologies fabuleuses de nos ancêtres.

Un jeu dédié à explorer un monde post-apocalyptique qui guérit miraculeusement. Le Grand Ennemi était une sorte de seigneur du mal, et dans la tourmente les peuples se sont soudés ; imaginons jouer dans le monde gris et terne de Plagues, mais chaque jour le vent emporte un peu de cendre qui ne revient pas. La végétation reprend quelques couleurs, les fruits retrouvent peu à peu un goût sucré, les animaux se font de plus en plus nombreux, les nains se décalcifient. 

Au-delà du rôle de juges ou de bâtisseurs, qui occupe les personnages au quotidien, un jeu de contemplation, pour le plaisir de voir renaître le monde. Et pourquoi pas vers une société plus juste, où les orques, ennemis héréditaires mais héros de la guerre, pourraient pour la première fois vivre en harmonie avec l'humanité ?

Un cadre pour une campagne medfan, ou pour un jeu PBTA avec des actions inspirées des actions d'adulte de MonsterHearts - celles qui servent à régler les problèmes de façon responsable, quitte à prendre sur soi.
Ou encore, pour une partie de Prosopopée, en écrivant dès le début une liste de problèmes ?


Et si on jouait... (10)

...à se projeter vers les étoiles, à la recherche d'un pur instant de beauté ou d'évasion, avant que notre monde ne disparaisse ?

En l'an 20X8, l'exploration spatiale est devenu un jeu d'enfant. Pour quelques euros on se procure une licence DroneInc. qui permet de piloter un petit vaisseau supraluminique pour aller faire le tour de la galaxie, taquiner les constellations ou bien même les trous noirs. Mais il ne s'agit pas d'un vrai voyage : si le vaisseau se déplace bien d'étoile en étoile, notre corps physique reste sur Terre. Seule notre conscience s'égare dans les recoins de la Voie Lactée. 

Cependant la fin est proche : tous les astrophysiciens sont unanimes, il ne reste plus que quelques mois avant que le soleil n'explose et raye toute vie de la surface de la Terre. Le projet DroneInc. a représenté pendant un temps l'espoir fantasque de trouver en urgence un autre monde habitable - mais sans succès. Quelques personnes s'y raccrochent encore, mais de toute façon, il serait trop tard pour lancer un plan d'évacuation. 

Libérée du travail et de toute perspective future, une partie de l'humanité se perd dans DroneInc. A la recherche d'expériences vertigineuses, de perte de soi aux confins de l'univers, de fraîcheur et de découverte en posant ses yeux sur ce qui n'a jamais été vu. On raconte leurs histoires, leurs surprises, leurs derniers instants de beauté tandis que la fin de la Terre approche, et on se raconte quelques étranges choses loin, très loin. Des astéroïdes pressés, des planètes distraites, des supernovas réconfortantes.