Poser des questions harmonieuses en OSR

- OK, donc tu avances tout doucement sur la poutre. Les orques en contrebas font l'inventaire de leur butin et ne t'ont pas repéré. Que fais-tu ? 
- Si je me mets juste au-dessus du chef, pour pouvoir lui tirer une flèche à bout portant, est-ce que j'ai un bonus ?
- Oui. Disons +2 au toucher et si tu touches, tu fais les dégâts maximaux. Tu le fais ? 
- Ouais ouais. Je fais 14, ça touche ? 
- De justesse, mais oui : il tombe raide mort. Les autres hurlent et se tournent vers toi, l'air menaçant. Tu fais quoi ? 
L'OSR est une guerre de questions. Pour la meneuse, il n'y a que les variations infinies sur la même question fondamentale : que faites-vous ?. Parfois la nuance choisie est importante : comment vous rendez-vous à Castelgris ? n'est pas la même question que quels préparatifs faites-vous pour votre voyage à Castelgris ?.

Pour les joueuses, il s'agit de poser les meilleures questions, celles qui vont rapporter le plus d'informations, et permettre aux personnages de s'en sortir le mieux possible. C'est là, je pense, que se situe tout l'apprentissage du mode de jeu OSR. Est-ce que le sol a l'air piégé ? est une question de débutante, dont la réponse sera probablement ben, tu sais pas trop, il n'y a rien de spécial qui attire ton attention. Dans ce cas-là, il vaut sûrement mieux chercher les fissures, les dalles proéminentes sur lesquelles il vaut mieux ne pas marcher, d'éventuels orifices de pièges à fléchettes, vérifier qu'au plafond n'est pas fixé un rocher ou une jarre d'acide... voir carrément demander s'il n'y aurait pas les signes du même piège à fosse que celui qu'on a croisé il y a deux salles de cela. Ici, je m'intéresse surtout aux questions posées pour obtenir une information passive, sans faire agir son personnage ; je lance donc de côté est-ce que j'arrive à marcher sur la poutre sans tomber ? où la part de description (c'est possible / ce n'est pas possible de faire ça) est subordonnée à la part d'action (non, et tu te casses la gueule juste devant le chef orque).

Mais ces questions ont aussi un second objectif, elles servent de béquille à la meneuse pour imaginer et fixer tous les éléments qui ne l'avaient pas déjà été. Il y a de bonnes chances que ce piège à fosse ait déjà été prévu - ce serait assez malhonnête de le choisir au dernier moment, en fonction de l'angle mort oublié par le groupe par exemple ! - mais il reste quantité de choses que la meneuse n'a probablement pas prévu et qui peuvent émerger des questions qu'on lui pose. A quoi ressemble le tapis ? Hm, eh bien, il y a ce motif avec deux serpents d'or entremêlés, mais le tapis est vieux et très poussiéreux. Voilà déjà un détail utile pour situer l'âge de ce donjon, et un premier indice sur la nature du boss, Mydras le Seigneur Serpent. En fait, les questions purement descriptives ont bien un rôle performatif, même s'il n'est pas systématique ni forcément clair pour les joueuses.

Là aussi, il y a de meilleures questions que d'autres : celles qui portent sur les vides les plus intéressants à combler, c'est-à-dire pour lesquels la meneuse trouvera le plus de choses à raconter. Les questions trop générales n'aident pas beaucoup. Au lieu de s'enquérir sur le tapis, si une joueuse demande : qu'y a-t-il qui attire mon attention dans la pièce ?, cela n'aide pas beaucoup la meneuse qui doit réfléchir à tout ce qu'elle a déjà décrit pour voir ce qui serait le plus pertinent à détailler. Dans un cas comme celui-ci, j'aurais sûrement tendance à donner le même genre de réponse qu'à est-ce que le sol a l'air piégé ? : je dirais ben, je sais pas trop, ça a l'air d'être un bureau assez lambda, rien qui ne saute aux yeux. Le risque étant de faire croire qu'il n'y a effectivement rien d'intéressant ici, et de mener la joueuse à se désintéresser du bureau. Bien sûr, la notion de "meilleure question" dépend fortement de la table ; par exemple, l'échelle à laquelle se placent les questions diffère selon les personnes. Parfois une meneuse veut entendre est-ce qu'il y a des fissures dans la roche, qui pourraient laisser penser à un piège à fosse ? voir carrément est-ce que les fissures ont l'air de converger autour d'un endroit particulier ? mais une autre se contentera de y a-t-il quelque chose de bizarre à propos du sol ?.

Ces deux remarques convergent vers un point : pour jouer de façon satisfaisante, il me semble nécessaire que la table et la meneuse parviennent à s'accorder. A trouver une harmonie, une façon de fonctionner qui sonne pour les deux. Les joueuses cherchent les bonnes questions, pour que leurs personnages réussissent et pour que la meneuse soit amenée à donner les descriptions les plus utiles ou intéressantes. Mais comment développer cette harmonie, cette entente ? Les joueuses doivent trouver les bonnes questions et la meneuse doit y répondre de façon satisfaisante, mais par quel outil ?

Je crois que jouer longtemps, en campagne par exemple, est le palliatif principalement exploité en OSR. A force, on se règle sur la façon de penser de la meneuse et on essaye de se débrouiller. Mais j'ai l'intuition qu'on pourrait plus rapidement et plus efficacement atteindre cette harmonie avec les bons outils de réflexion pour la table. On gagne à en expliquer l'importance à la table, et à rendre consciente la partie "béquille". Trouver une bonne dynamique est un vaste programme, et je n'ai pas de réponse convaincante pour le moment - d'autant que tout ça entre évidemment en interaction avec les règles et principes de meneuse. Dans l'exemple du tapis, la meneuse utilise les axiomes de son donjon pour inventer un motif qui a du sens. Quand elle ne sait pas quoi dire pour remplir une salle ou une forêt, elle peut faire un jet sur une table aléatoire. 

Voici cependant un premier outil, que je commence à utiliser (sans grand succès pour le moment !) : à la fin de chaque scène, voir de chaque partie, je donne à mes joueuses la question qu'elles auraient dû poser. Il s'agit donc d'une petite fenêtre sur ma façon de penser, ce que je trouve important. Je vais peaufiner un peu cet outil et voir s'il m'est utile ; on en discute à l'occasion. 

Et vous, que faites-vous ? 

Et si on jouait... (9)

...à un jeu maudit, inspiré des creepypastas, ces histoires horrifiques sur Internet qui restent dérangeantes même quand on les sait fausses, comme Ben Drowned ?

On écrirait un jeu, certainement un jeu d'horreur. A la main, sur quelques feuilles. Des feuilles étranges si possibles : anciennes d'aspect, parcheminées, à demi brûlées. Un jeu qui se présenterait lui-même comme un témoignage ancien, peut-être qui présenterait les règles sous la forme d'un rituel à ne jamais utiliser. La copie d'un manuel de magie noire qui n'aurait jamais dû survivre au temps passé.

Et puis on l'enverrait à une personne prête à le faire jouer, dans une enveloppe. L'enveloppe contient le jeu maudit, et on est tenu de le renvoyer par la poste ensuite, après une partie. JAMAIS PLUS D'UNE PARTIE.

J'imagine un jeu qui permette d'organiser une partie autour d'une table, mais bien sûr, un jeu épistolaire aurait toute sa pertinence aussi, comme De Profundis. Dans tous les cas, il faudrait qu'en passant entre les mains de quelqu'un le jeu soit transformé, amendé, modifié. Par exemple chaque personne écrirait une nouvelle page d'un manuel maudit, ou bien déciderait de censurer une partie du texte et de la remplacer par des écrits apocryphes... A mi-chemin entre jeu de rôle et enquête occulte.



On dirait qu'on serait

Zelda 3000, livre du petit joueur

Quand j'étais petit, dans la cour de récré de mon école, je jouais à Zelda 3000 avec un ami. Comme le nom l'indique, c'était un jeu où il allait dans des donjons pour récupérer des artefacts, et comme c'était 3000, il avait un sabre-laser et pouvait utiliser la Force. J'en ai très peu de souvenirs, mais je sais qu'on mimait les attaques - je me souviens même de réflexions du genre "non, ton arme est lourde, tu peux pas attaquer aussi vite" - et qu'en fin de récré je mimais un écran de sauvegarde avec mes doigts pour que mon joueur puisse conserver sa progression. (Je fais vachement bien l'écran de sauvegarde)

A posteriori, évidemment, je réalise que je faisais du jeu de rôle freeform. Même du GN, en fait, un peu. Hé ! GN à deux en campagne, parties d'un quart d'heure (récré obligé), tout en impro sans fiche de perso : plutôt avant-gardiste le kF ! 

En inventant l'histoire à la volée, à une vitesse frénétique. Il y avait au moins un "on dirait que ça ce serait" par minute. En inventant les règles, aussi, et puis le monde, qui n'était jamais pensé au-delà de ce qu'on jouait : il ne m'est absolument jamais venu à l'idée de préparer à l'avance ce qu'on jouerait, d'y réfléchir entre les parties. C'était un jeu de récré, point. 

Ce qui fait une sacrée différence avec le jeu de rôle, tout de même. Dans tous les jeux, dans toutes les pratiques, nous cherchons à construire du sens commun qui tienne au moins un moment. Se mettre d'accord sur les règles et leurs effets parce que nous ne voulons pas découvrir qu'elles ont été mal comprises, que notre engagement dans notre personnage est compromis par le tour que risque de prendre l'histoire... Dans Zelda 3000 tout ça était bien loin. Si le héros mourrait il ressuscitait illico et pouvait finir son combat. Si on terminait le dernier donjon, on apprenait d'un coup qu'il y en a 10 autres en plus, sans explication.

Jouer (presque) comme des enfants

Je pense qu'on peut raffiner cette façon de jouer et en tirer quelque chose de très amusant et libérateur. Je dis raffiner parce que j'ai peur qu'on trouve peu de plaisir à refaire exactement la même chose : mon petit moi du passé aimait beaucoup ces histoires mais mes attentes actuelles sont un peu plus hautes ! En fait, j'ai déjà deux exemples :

1 une aventure dans Into the Odd. C'est-à-dire, jouée sur le pdf du jeu. 
Il s'agit d'une partie jouée avec un ami, qui a démarré comme un accident. Nous étions au même endroit, j'avais envie de faire une création de personnage - elles sont très fun, dans ce jeu - et je lui ai donc fait lancer quelques dés. Son personnage tout juste créé, il m'annonce qu'il regarde autour de lui et cherche une sortie.

Un peu déboussolé, j'ai regardé ma tablette sur lequel je venais de chercher les tables de création, et j'ai utilisé les petits dessins dans les marges pour lui montrer un décor sommaire. Très vite, nous avons commencé à faire toutes sortes de choses plus ou moins intuitives avec le pdf : 
- se déplacer sur une ligne de texte
- marcher vers le haut ou le bas pour faire défiler les pages
- dans un effort extrême, atteindre les onglets en haut pour changer de pdf
- s'extraire du pdf pour se balader sur la table

Clairement, nous jouions sans cesse pour être surpris. D'Into the Odd, on s'est déplacés dans Blades in the Dark puis dans Odyssea, où l'on a croisé Thomas Munier puisque son nom est sur la page de couverture. J'utilisais toujours les règles d'ItO, avec quelques changements à la volée ; il y avait des ennemis avec des points de vie, il y a eu un joueur bonus pendant un moment, plein d'interactions sociales surréalistes, et même un vrai bout d'histoire. A la fin, le personnage a accepté un pacte avec une entité supérieure pour devenir un chasseur des outremondes. 

2 la balade sludgecore dans les Buttes-Chaumont, avec Thomas Munier
Lors de sa dernière tournée à Paris, sur une initiative d'un autre joueur, avait proposé 2h de balade dans le parc des Buttes-Chaumont, en faisant comme s'il s'agissait d'un pan de l'univers de Millevaux que l'on explorait. Les corbeaux étaient des Corax, les fougères des étendues de moisissures putrides, et ainsi de suite. Après un petit atelier pour fixer un peu nos limites, on a donc déambulé, avec une vague quête en tête. On engageait le corps quand cela paraissait faisable, comme ramasser un marron  (un fruit de l'Arbre de l'Oubli !) mais on racontait n'importe quelle scène un peu compliquée (et là, vous me voyez traverser l'étang, je nage jusqu'à l'autre bout poursuivi par le kraken, et sur la plage en face je trouve cet objet). 

Les éléments fixés étaient peu nombreux au début :
- le parc était un lieu peuplé de fantômes enfermés dans leurs propres routines, leurs cycles qui se répétaient ad vitam aeternam
- parfois, des vivants s'y cachaient - de puissants et dangereux sorciers -, faisaient semblant d'être des fantômes, mais on pouvait les repérer parce qu'ils sortaient parfois de leurs cycles
- nous étions des esprits gardiens, veillant à ce que tout reste dans l'ordre, nous devions repérer les sorciers et aussi empêcher les fantômes dissidents de s'échapper

Il y a eu une petite demi-heure de péripéties diverses : repérer un sorcier, éviter les chiens qui peuvent nous sentir, nous laver les mains dans la source de la Chair, collecter des feuille mortes de souvenirs dont nous étions accrocs... puis une histoire est née, lorsque nous avons aperçu le kiosque au sommet de l'île du Belvédère :


Il est devenu évident que nous avions envie d'y monter, et rencontrer les grands seigneurs qui s'y prélassaient ; peu à peu, il a été question de domination par les seigneurs, de trahison - et si les sorciers étaient en fait leurs alliés secrets ? - et ainsi de suite. Nous avons continué jusqu'au kiosque et achevé la partie là, confrontant nos seigneurs que nous avons destitués, et racontant de beaux épilogues sur nos personnages. A la fin, tout ça semblait avoir été intentionnel : notre progression dans l'ensemble avait du sens, nous avions collecté tout un tas d'objets qui s'étaient révélés cruciaux, et la conclusion était un beau nœud dramatique. 

Chaînon manquant

J'ai beaucoup aimé ces deux parties, qui m'ont laissé un arrière-goût de perplexité et de grande confusion, comme si je découvrais le jeu de rôle. Comme si tous les carcans sautaient d'un coup et qu'on pouvait subitement jouer instinctivement, avec l'impression de se trouver à la fois face à une quantité de possibilités absolument vertigineuse et la confiance que quoi qu'on fasse, on trouvera bien le moyen de rattraper le coup.

Ces jeux n'étaient pas intenses, sauf peut-être la fin de la balade sludgecore. Mais ils étaient des moments d'intercréativité folle, brute. Un peu canalisée quand même, puisque nous avons fait sens : dans le premier exemple en développant un affrontement contre un grand méchant, dans le second en choisissant d'affronter les seigneurs. 

En revenant à cette forme plus primitive de jeu de rôle, où l'on invente à la volée pour le pur plaisir d'inventer, je me demande si l'on ne touche pas à un chaînon manquant du jeu de rôle. Beaucoup de personnes dans les milieux rôlistes semblent avoir joué à des jeux d'enfant qu'ils et elles assimilent maintenant à du jeu de rôle : je crois que cette expérience est relativement courante. On s'accorde facilement, après tout, à dire que jouer à la dînette, au papa et à la maman, au gendarme et au voleur... sont des formes primitives de jeu de rôle. 

Mais que rien ne vient après. Après, il y a le "vrai" jeu de rôle des adultes. Il me semble qu'il manque un entre-deux, à la fois comme objet (des "jeux d'enfant" un peu formalisés) et comme pratique : quelque chose qui fasse le lien entre l'enfance et le jeu de rôle actuel. Pourquoi, sinon, tant de personnes font l'expérience du jeu pendant l'enfance et l'abandonnent tout à fait ensuite ? 

Aller plus loin dans cette réflexion m'est impossible. Pour l'heure, je garde par contre l'envie de jouer comme un enfant.
Et vous, à quels jeux d'enfant jouiez-vous ?

Et si on jouait... (8)

...une enquête à travers les âges, sur un mystère historique complètement fou ?

Racontons quelque chose de proche de la légende de l'homme au masque de fer, ce prisonnier sans nom et sans visage enfermé sous Louis XIV sur qui ont circulé les théories les plus folles. Tour à tour, nous racontons l'histoire au présent, à notre époque, sous l'oeil d'un historien qui tente de comprendre à partir de maigres indices, puis au passé, à l'époque du mystère. Un jeu pour deux, où la joueuse qui incarne l'Historien propose une ou plusieurs théories, auxquelles celle qui incarne le Mystère répond en décrivant brièvement une scène proche de la vérité supposée, contenant de nouveaux indices pour continuer. Une règle simple pour faire marcher ce jeu de dialogue pourrait être : la joueuse du Mystère élucide la scène théorisée par l'Historien, avec plus ou moins de détails selon sa justesse, puis donne un indice qui doit mener à la suite, mais qui doit être en contradiction avec quelque chose d'établi. L'objectif final est de permettre d'échafauder non pas une, mais plusieurs théories assez cohérentes mais jamais satisfaisantes. À peu de choses près, cela pourrait être joué avec Sphynx. Et on pourrait bien sûr remplacer le mystère historique par un mythe de fantasy, et s'improviser archéologue de Dark Souls !

Une variante : suivre la trace d'un objet historique occulte à travers les âges. Manuscrit maudit, calice aux grands pouvoirs, tablette révélant d'obscurs secrets, voir baguette de sureau... On l'imagine découvert il y a très longtemps - sans doute en Mésopotamie - et voyageant de main en main, de société secrète en société secrète. Là aussi, on ne raconte qu'une partie de l'histoire ; des fragments éparses ; parfois l'objet ne montre aucune trace pendant cinq cent ans, avant de resurgir aux mains d'une puissante famille. Mais est-ce bien le même, ou s'agit-il d'une copie ? 

Des jeux pour réfléchir à d'audacieuses théories et plonger dans le monde de l'occulte, dans celui des complots millénaires, ou simplement s'amuser à s'égarer dans des nœuds de réflexion inextricables. 


Le projet Ristretto Revenants : constituer réflexivement une pratique de l'OSR

Il est temps d'attaquer un premier gros morceau de ce blog, et une des raisons pour laquelle il existe. Aujourd'hui, on va parler fabrication et transmission des pratiques en OSR !

L'OSR, old school renaissance, c'est ce courant récent qui propose de jouer à l'ancienne, dans le style du tout premier Donjons & Dragons. Avant l'invention des compétences, quand le player skill fait tout, quand l'on attend des règles qu'elles s'occupent de gérer les ressources et l'attrition. Les pratiques de jeu OSR sont nombreuses et pas toujours très homogènes : après tout, c'est un style de jeu qui glorifie la tambouille du meneur de jeu. Pour certaines personnes, c'est l'occasion de ressortir de vieux modules D&D avec un système un peu dépoussiéré, pour d'autres c'est un jeu d'astuce survivaliste... Quand je parlerais de l'OSR comme d'une façon de jouer, ce sera donc un petit abus de langage qui voudra dire : ma façon de jouer OSR.


Ce que je cherche dans l'OSR

A titre personnel, c'est surtout la vision du Grümph, qu'il explicite dans un podcast de la Cellule [1], que j'ai adoptée. Je n'ai jamais joué à D&D1, et je n'ai jamais connu cette époque fantasmée (je n'étais pas né !). Ce n'est donc pas la nostalgie qui me motive, mais peut-être plus une sorte d'exotisme ; et si la proposition de jeu de l'OSR m'attire alors que tout ce qui est tradi me laisse généralement froid, c'est en fait parce que je peux y plaquer une façon de maîtriser qui me satisfasse, tout en restant nouvelle : 
+ une préparation bac à sable, avec des donjons à explorer mais pas de scénario, pas de scènes scriptées ; un gros focus sur l'instantané : ce qui importe ce n'est pas l'histoire, c'est de jouer au jour le jour, de simuler la vie d'aventurier et on verra bien ce qu'il en sort. [2]
+ des règles que l'on applique impitoyablement, quitte à ce que les conditions de leur application soient arbitraires : si une solution proposée par une joueuse est bancale, alors ce sera jet de sauvegarde ou grosse blessure ; si les personnages campent ici, alors je vais tirer une rencontre aléatoire ; etc.

Là-dessus, deux détails coinçaient quand je m'y suis effectivement mis. Le premier, c'est que malgré les podcasts et les conseils, je n'avais jamais touché à l'OSR et je n'avais donc aucun réflexe, apprentissage, habitude de jeu. Pour un mode de jeu centré sur les pratiques du meneur, ce que certains appelleraient gestes ou compensation [3] [4], ça va être dur. Le second, c'est que pour tenir sur la longueur d'une campagne, j'ajoute un point : je veux préparer le minimum possible, et pas passer des heures à concevoir des donjons pièce par pièce. Là aussi, on peut trouver un paquet de conseils à gauche à droite, mais encore faut-il faire le tri et voir ceux que l'on peut adapter, et ça prend du temps.

Il y a quelques mois, je tartinais dans un gros article sur les Courants Alternatifs l'outil idéal que j'aimerais construire pour mener OSR [5] ; il était question de dégager des principes de maîtrise et des actions de meneur, exactement comme dans Apocalypse World et les jeux de sa mouvance. Utiliser un outil issu d'un jeu story now pour faire du jeu sans histoire, voilà un sacré paradoxe, mais que je pense dépassable à condition de radicalement changer les principes et les actions en question.


Attention chantier

Depuis cet état des lieux, j'ai laissé passé quelques mois et amorcé une campagne maison. Oui, maison, comme dans tous ces trucs tradis où tu sais pas de quoi on te parle. Les règles sont presque exactement celles d'Into the Odd, mais j'y ajoute les dés de risque de Macchiato Monsters, et l'univers est librement inspiré de la série de jeux vidéo Dark Souls, une obsession absolue chez moi. On y joue des mort-vivants maudits, sans souvenirs, qui se réveillent sur une île étrange et hostile et tentent de survivre et de s'en sortir. Plus précisément, ils jouent pour créer du sens. Le côté Souls-esque est plutôt raté, pour des raisons dont je parlerai peut-être plus tard, mais la campagne marche bien à côté de ça et fait un super terrain d'expérimentation pour moi. Cette campagne, elle s'appelle Ristretto Revenants ; je réfléchis à la transmettre, d'une façon ou d'une autre, et c'est là qu'on va commencer à parler de projet.

Parce qu'en fait, je ne sais pas encore ce que je veux en faire. Ni quelle forme ça va prendre. 

Si je décris juste ma préparation, qui pour le coup est relativement massive - beaucoup de lieux, de monstres, de PNJ - agrémentée des quelques règles custom et de conseils de jeu, je pourrais produire quelque chose de jouable mais un peu bancal. Parce que vous n'avez pas la même pratique de l'OSR que moi, ou pas de pratique OSR du tout si vous êtes comme moi il y a un an. 

J'envisage de reprendre l'ambition que j'ai évoquée un peu plus haut : transmettre le jeu et un guide pratique via des principes & actions, qui rythment la maîtrise et disent explicitement comment jouer. Et un point m'interpelle. Dans l'univers que j'ai préparé, comme dans Souls, tout le lore tourne autour de quelques entités mythologiques plus ou moins divines déchues qui finissent d'agoniser dans une morosité communicative. Chacune a ses spécificités, ses axiomes, ses servants, ses lieux de culte ou d'influence, et ainsi de suite. Ce qui se traduit directement en principes de jeu : pour typer un ennemi, un lieu, un pouvoir, j'imagine à quelle entité il se rattache et je l'exprime à travers lui. Par exemple, si j'ai un dieu gardien qui s'appelle le Serpent, j'imagine que ses serviteurs sont des hommes-lézard, que les sanctuaires dédiés ont des arabesques ondulantes un peu partout et des représentations stylisées de son mythe fondateur. Et, devant moi, je pourrais en faire un principe du genre :

"Montre le Serpent comme un gardien vénérable, mais qui n'est plus qu'un pâle reflet de sa majestuosité perdue"


Pratique réflexive

Mais on peut aller plus loin encore.
Réussir à transmettre tout à fait sa pratique, à faire jouer à d'autres tables comme on joue à la sienne, est une chimère forgienne. On peut bien la suivre un temps (pour créer un jeu avec une identité forte ? pour proposer une nouvelle façon de jouer ?) mais il faut à un moment ou un autre la mettre en sourdine pour permettre aux joueuses destinataires de trouver la place de s'exprimer, de trouver leur façon de s'accorder au jeu. Dans le podcast [4], Julien et Romaric s'accordent sur la distinction suivante que je trouve passionnante et très fertile : un jeu forgien, c'est un jeu qui tente de nous apprendre un geste ; un jeu traditionnel, c'est un jeu qui nous laisse exprimer nos gestes.

Je cherche une troisième voie. Cherchons à transmettre non pas nos gestes, mais la façon dont nous nous constituons un geste qui marche. En ce moment, je construis ma pratique de l'OSR ; et je la construis réflexivement, à travers le processus suivant : 
1 Auto-observation : comment je joue, comment j'improvise ?
2 Auto-critique : qu'est-ce qui n'a pas marché ? quel outil (table aléatoire, règle...) est mal fichu ou carrément manquant ?
3 Formalisation : je rédige les principes que je pense avoir suivis et je construis ou répare les outils nécessaires. Retour en 1.

Parfois, on rajoute une phase de debrief et l'intervention des joueuses. J'aimerais le rendre systématique, mais ce n'est pas évident puisque un certain nombre d'outils que j'utilise sont cachés : tables aléatoires, vérités sur l'univers, etc. Je suis cependant entrain de réfléchir à ce que je peux rendre transparent et je vais tenter de communiquer plus dans les prochaines séances. Le processus est donc amené à évoluer : stay tuned.

Voilà ce que je veux transmettre. Des principes de jeu à suivre pour jouer de l'OSR proche de ma pratique, mais adaptables, malléables. Et un processus pour modifier, amender, mettre à jour ces principes, en fonction de ce qui marche ou pas à une table donnée. 

Dernière cerise sur le gâteau. Je ne pense pas qu'il soit très pertinent de livrer figé et clefs en main l'univers que j'ai bidouillé avec mes petites mains, si les principes qui vont avec et qui lui font prendre forme doivent pouvoir être modifiés et adaptés. Le seul intérêt de mon univers, c'est que je le maîtrise et que je suis naturellement à l'aise avec. En fait, il me semble à la fois plus simple et plus puissant de chercher à donner carrément un guide qui permette à un meneur de fabriquer un univers du même style, un monde soulsesque. Avec son propre mythe fondateur, ses quelques factions fondamentales, ses secrets bien gardés. 

En somme, il s'agit d'écrire le guide de jeu que j'aurais rêvé d'avoir quand j'ai attaqué l'OSR. Quelque chose qui me donne tout à la fois le moyen de créer un cadre fictionnel dans lequel je suis à l'aise, des principes de jeu pour me guider à chaque instant et une technique pour transformer ma pratique en fonction de mon expérience.

Vaste programme. C'est bien assez pour aujourd'hui ; maintenant que cette première pierre est posée, la suite devrait être plus digeste. Je suis à l'écoute pour toute référence, remarque, critique, idée que vous pourriez apporter à ma démarche. 

On se retrouve très bientôt !


Linkographie

[1] Podcast de la Cellule sur Ô, Silencieuses Ruines (tout est dans l'acronyme !), où le Grümph explique comment il joue et ce qui lui semble intéressant dans l'OSR ; très exhaustif. (~2h)

[2] Intervention de Vivien Féasson lors du colloque Engagements et Résistances, dont tous les enregistrements sont disponibles sur le site des Voix d'Altaride ; moins spécifique, il y évoque notamment la façon très particulière dont certains penseurs de l'OSR refusent de parler d'histoire en jeu de rôle. (~30min)

[3] Article de Julien Pouard : le Geste Rôliste. 

[4] Podcast de la Cellule avec Julien Pouard : Compensation et Geste rôliste. La compensation est un concept développé par Frédéric Sintès, qui a une interaction fertile avec le geste. Le geste est, grosso modo, la technique par laquelle une joueuse compense. (~1h30)

[5] Article sur les Courants Alternatifs. Quand je l'ai écrit, je n'avais pas encore commencé ma campagne sur Into the Odd, et j'avais une vision assez négative de la compensation, comme de quelque chose qu'il faut forcément éviter. Le podcast mentionné juste au-dessus a beaucoup changé ma façon de voir les choses.

Et si on jouait... (7)

...une épopée douloureuse et acharnée, carte à la main, en quête d'un objectif sans cesse oublié et retrouvé, dans les forêts hantées de Millevaux ?

Quand cela paraît faisable, j'essaye d'accorder une importance ou une symbolique au papier dans les parties auxquelles je joue. Feuilles de personnage, aides de jeu, nous utilisons beaucoup de papier et c'est un matériau qui peut accueillir beaucoup plus de richesses que ce que nous en faisons : on peut agrafer, déchirer, couper, mouiller, froisser, colorier... J'en parlais ici, sur les défunts Ateliers imaginaires.

L'objet central, aujourd'hui, ce serait une carte. Une vraie carte, routière par exemple, ou plutôt la carte d'une ville, qu'on déploie - immense - au centre de la table de jeu. On note quelques premières choses dessus, par exemple des modifications liées à l'apocalypse forestière (la Forêt a fait croître les espaces verts au-delà de leurs limites prévues...). Puis la carte est amenée à évoluer : on se donne beaucoup d'outils - agrafeuse, feutres, stylos, ciseaux - et on encourage à lier l'histoire et l'évolution de la carte, créativité narrative et artistique.

Dans ce décor, on joue l'histoire d'un personnage solitaire, ou peut-être accompagné - d'une personne, d'un chien pourquoi pas, mais pas un véritable groupe. Il a un objectif à réaliser, plusieurs peut-être même, comme retrouver un proche disparu, revenir là où tout a commencé, trouver un sortilège pour maudire son ennemi. Une joueuse l'incarne, face à un MJ : face à face, dans une quête d'une difficulté infinie, qui dure plusieurs séances.

Et il y a un twist : l'Oubli frappe le personnage. Chaque séance, c'est une joueuse différente qui incarne l'errant, sans aucune autre information que la carte, sans même se souvenir de la quête. A la nouvelle joueuse de comprendre ce qu'elle faisait là, ce qu'elle essayait d'accomplir, et de laisser peut-être des indications pour la suivante. Peut-être même que le personnage ne sait pas écrire, et que la joueuse n'a donc pas le droit de noter des mots lorsqu'elle annote la carte.

La partie pourrait être motorisée par quelque chose d'OSR, comme par exemple Écorce, pour un résultat putride et survivaliste. Ou par Inflorenza Minima, pour quelque chose de moins terre à terre et plus déchirant, mais avec le risque que certaines conséquences paraissent gratuites ou invisibles parce qu'elles se déploient dans d'autres séances.

Un jeu d'exploration horrifique et putride, à la recherche d'une chimère déjà oubliée.


Et si on jouait... (6)

...une poignée de magiciens et magiciennes, réunies autour d'un vieux maître qui s'occupe de terminer leur apprentissage ? 

Un jeu calme dans un monde low-fantasy en paix, dans un environnement fixe - une petite ville de campagne et ses environs - qui évolue doucement. Les personnages ont déjà reçu une part de leur éducation à la magie, dans une grande capitale bruyante et hyperactive, et leur expérience d'assistant-e-s doit servir à confirmer leur grade. Plus tard, eux aussi seront dépêchés vers d'autres villes, avec des devoirs divers : veiller sur la population, résoudre des problèmes d'origine magique, pourquoi pas fabriquer charmes et talismans pour aider les gens du commun... Peut-être qu'un jeu PBTA serait adapté pour gérer petit à petit la communauté et l'évolution du monde ; en tout cas, j'aurais envie de reprendre les projets à long terme de Blades in the Dark, et peut-être des playbooks - inspirés de ceux du sympathique Beyond the Wall.

On insiste beaucoup sur le quotidien, sûrement vécu comme morne et répétitif, et on centre chaque partie sur un problème à résoudre, confié par la bourgmestre locale au maître-magicien qui décide de déléguer auprès de ses apprenti-e-s. Parfois, un mystère pique la curiosité des personnages, qui découvrent peu à peu l'histoire de la ville, affinent leurs connaissances sur la magie... et parfois, rien de spécial ne se passe.

Un jeu pour explorer de petits mystères sans importance, un quotidien à la fois enchanté et banal : Magic Together ?


Et si on jouait... (5)

...de l'horreur où personnages comme joueuses sont contraintes de rester silencieuses, de peur de se faire tuer ?

Le silence est un outil puissant. La minute de silence que propose Thomas Munier en ouverture de beaucoup de ses jeux intenses, par exemple sur Dragonfly Motel, est une pratique que j'ai reprise pour sa grande efficacité. Dans Prosopopée, les silences entre les propositions des joueuses sont générateurs de contemplation, de méditation, donnent de l'ampleur à la narration. 

En horreur, on joue sur le silence à l'intérieur de la fiction : une maison trop calme, un léger craquement audible au milieu de rien... Ce que j'aimerais exploiter, c'est le silence que s'imposent les personnages lorsque le tueur est proche et risque de les repérer en écoutant leurs respirations, leurs chuchotements, leurs pas étouffés lorsqu'ils tentent de s'échapper en douce. 

Jouons la peur d'un antagoniste particulier, un monstre qui vous repère au son et vous tue dès que vous prononcez la moindre parole en sa présence. Lorsque le monstre est là, les joueuses doivent communiquer sans parler, comme leurs personnages. Pour s'aider, on utilise un plan pour signifier ses déplacements, quelques gestes improvisés, peut-être quelques mots listés sur une aide de jeu que l'on peut pointer du doigt. Et on fait durer les scènes de rencontre quelques minutes au plus, pour éviter les singeries et conserver un maximum la tension critique, la terreur de l'instant. Une synesthésie entre la situation de crise rencontrée par les personnages - la confrontation avec une horreur extrêmement dangereuse  - et celle des joueuses qui d'un coup perdent la capacité à communiquer librement.

Peut-être aussi qu'on se donne un mécanisme de résolution aléatoire qui permet de fuir, de se battre, de réaliser quelques actions simples. On jette le dé, le résultat permet aux autres de comprendre ou deviner ce que l'on a fait - et ce qui en a résulté - sans avoir à parler. Alors, peut-être que l'on jouerait un combat silencieux, où la fiction n'est plus claire parce que l'interprétation est impossible sur le moment. Debriefer la rencontre, même entre personnages, pourrait être une intéressante confrontation des maelströms des différentes joueuses.

Si cet effet est majeur, il faudrait adapter la fiction en décrivant qu'en plus, le monstre brouille l'espace, la compréhension, la vision peut-être, en empêchant aux personnages de bien comprendre ce qui se passe. 

Un jeu tactique, où l'on fait ce que l'on peut malgré le flou horrifique dans lequel on est plongé.


Et si on jouait... (4)

...une nouvelle aventure des Shadoks, qui n'ont de plus terrible adversaire que leur propre bêtise ?

Pour celleux qui ne connaîtraient pas, Les Shadoks est une série d'animation française loufoque, aux épisodes très courts (2min) diffusés entre 1968 et 2000. Les bestioles qui donnent leur nom à la série - des espèces d'oiseaux - sont un peuple crétin qui décide de s'installer sur Terre, une planète vierge, parce que leur propre monde d'origine est invivable. Je recommande vivement la série pour son humour absurde et ses histoires abracadabrantes.

Jouons quelques dirigeant-e-s du peuple shadok : le roi, le professeur Shadoko, le devin-plompier, ou d'autres que nous inventons, avec une caractéristique particulièrement identifiable. Choisissons un enjeu pour la partie, comme "coloniser une nouvelle planète" ou "inventer un nouveau sport national", et jouons en alternance nos personnages et le monde qui évolue en conséquence de nos actes.

Pour structurer la partie, nous pourrions procéder ainsi : nous établissons dès le début et en commun 3 étapes-clés pour réussir le but. Par exemple, 1. fabriquer une nouvelle sorte de ballon ; 2. en munir le peuple shadok, avec des règles absurdes et impossibles ; 3. choisir les meilleures règles et organiser une grande démnstration. On joue pour réaliser les étapes dans l'ordre, avec un impératif : ne jamais compléter une étape telle qu'elle a été écrite, toujours faire quelque chose d'autre.

Lorsqu'un personnage tente de résoudre un problème, la joueuse imagine sans le dire la solution choisie par son personnage. Par défaut, on part du principe que n'importe quelle solution peut marcher, sans aucune restriction ; par contre, il faut réussir à l'expliquer. Pour ce faire, la joueuse dessine sa solution, en quelques cases de BD au maximum, et sans utiliser d'autre texte que le langage Shadok : GA, BU, ZO, MEU. Avantageusement, les Shadoks sont très faciles à dessiner, tout le monde en est capable. Si les autres joueuses comprennent d'elle-même la solution, le problème est résolu, sinon elles doivent aussi expliquer en quoi la solution ne marche pas et crée des complications supplémentaires. 


Et si on jouait... (3)

...des rois prophètes, des Cassandre couronnées, à la tête d'un vaste empire promis à une fin funeste, à une calamité majeure ? Des personnages qui peuvent lire le futur et ont les moyens d'agir, mais qui auront tellement de mal à empêcher leurs visions de se réaliser. 

Un meneur de jeu prépare un premier cataclysme inévitable, puis une série de révélations, sur des post-it face cachée, chacun assorti d'une date visible par toutes les joueuses. Par exemple : 
1 inévitablement, de vils cultistes ouvrent une Porte Sombre qui déverse sur le monde un flot de démons sanguinaires
2 dans dix ans... (sûr de la défaite, le général des armées fera sécession et abandonnera l'Impératrice, sauvant ceux qui comptent pour lui en voyageant vers des terres lointaines)
3 dans vingt ans... (la Tempête, avatar d'un prince démon, ravagera la capitale)
4 dans trente ans... (l'Impératrice, en pleine campagne pour reprendre ses terres depuis l'exil, mourra empoisonnée par un valet)
5 dans cent ans... (la retraite planaire du Magistérium sera attaquée ; le dernier bastion de la civilisation telle qu'on la connaissait tombera)
6 dans deux cent ans... (ce n'est plus qu'un vent de cendres et de mort qui soufflera sur les terres désolées de ce qui était autrefois l'Empire)

On peut raconter l'histoire au présent, la lutte, ou avancer dans le temps quand on veut rattraper l'un des faits prévus par le meneur. Un mécanisme permet de découvrir à l'avance certaines révélations du meneur, et un autre permet de tenter d'en endiguer le déroulement. Peut-être faudrait-il que les révélations soient plus complexes, et comprennent par exemple une cause cachée qu'il faut découvrir en enquêtant astucieusement si on veut avoir une chance d'éviter la catastrophe. Ces deux mécanismes sont limités, peut-être par une ressource commune : doit-on dépenser toutes ses forces à lutter contre les menaces qui pèsent actuellement sur l'Empire, ou bien prendre le temps de prévoir les affres futurs pour mieux s'y préparer ?

Idéalement, le jeu donne la possibilité d'éviter complètement la ruine, mais c'est dur, il faut être malin et avoir un peu de chance. Un peu comme survivre à un scénario de Sombre. Un jeu tactique, où l'on se bat pour la survie de tout un peuple, qui potentialise un jeu moral, où l'on doit choisir ce qui est sacrifié lorsque l'on a échoué à sauver tout à la fois.

Un hack évident : jouer des personnes politiques, des climatologues, qui voient venir le désastre environnemental.


Et si on jouait... (2)

...la dernière partie d'une longue, longue campagne de D&D, sans toutes celles avant ?

Les campagnes auxquelles je participe sont courtes. Je crois n'avoir jamais dépassé la vingtaine de séances ; au-delà, ma motivation s'évanouit.

Quand je joue à un jeu de la veine old school renaissance, parfois j'ai envie de voir ce qu'il y a après trente ou cinquante ou cent séances, après avoir trimé pendant des années pour comprendre quel grand complot planaire menaçait le monde, lutté acharnément contre les serviteurs du Mal et finalement trouvé le moyen et la détermination pour aller affronter la source de tous les maux dans son repaire.

Peut-être qu'un jeu orienté pour des one-shots le permettrait. Un possible squelette, comme je vois les choses :
1 On reçoit une classe typique (Guerrier, Clerc...) mais on la renomme : Maître-lame des douze lotus, Avatar de la déesse du Courage, et ainsi de suite.
2 Dans une première phase, on explore les alentours du repaire du Mal Élémentaire et on se permet d'inventer des armes, sortilèges, pouvoirs divers qui permettent aux personnages de progresser facilement malgré l'adversité. On prend le temps de donner une anecdote pour chacun,  et un titre associé : j'ai gagné cette épée stellaire en défiant un grand démon qui menaçait la cité volante d'Aerast, dont l'Impératrice m'a nommé Protecteur Éternel en reconnaissance.
3 Les anecdotes sont racontées et jouées, mais soit le cadrage de la scène soit la façon dont l'histoire a été résolue est choisi par les autres joueur-se-s et pas par celui ou celle dont on raconte l'histoire, à la façon de Fiasco
4 Pour plus d'ampleur, on réfléchit aux éléments en questions - les Atouts - en leur attribuant une grande qualité qui dépasse l'usage qu'on leur imaginait, et un grand défaut comme une malédiction dangereuse. Puis-je ramener à la vie un ami mort au combat ? Oui ! Je peux même faire ressusciter la population massacrée d'une ville entière ! Mais à chaque fois que j'use de ce pouvoir, mon âme se fractionne un peu plus et le monde m'apparaît plus noir et froid, fade et distordu, cauchemardesque. 
5 Dans un second temps, on entre dans le saint des saints qui protège le Mal Élémentaire. Les personnages n'ont plus d'autre joker, ils doivent jouer avec ce qu'ils ont défini dans la première phase. L'adversité est plus forte, et on affronte en combat toutes les némésis oubliées, les généraux ennemis qu'on aura pris soin d'amener dans les descriptions de la première phase, les doubles maléfiques, les dieux rivaux. 
6 Peut-être que l'on survit, peut-être que l'on meurt, peut-être que l'on finit damné pour l'éternité même si l'issue de la confrontation est positive. Les vainqueurs écrivent l'Histoire.
7 Les règles encadrent les ressources vitales, le combat notamment, peut-être un peu le character skill, et gardent un côté OSR. Les Atouts sont gérés avec des dés de risque, comme dans Macchiato Monsters.
8 Elles encadrent aussi une phase 0 de création du monde, où l'on décrit surtout le fameux repaire du Mal Elémentaire. Une forteresse dans les profondeurs, le château du Roi transformé en trône démoniaque, d'antiques ruines au coeur d'un marais maudit ?

Quitte à fixer quelques éléments techniques simples, le jeu est testable, à petite dose au moins. Pourquoi pas un jour, sur le Discord des Courants alternatifs ! La phase 1 où l'on explore et crée les Atouts est probablement très artificielle en l'état, il faudrait quelque chose de plus élégant.


Et si on jouait... (1)

...un road-movie halluciné et nocturne, à travers les yeux d'un enfant qui ne comprend pas pourquoi ses parents l'emmènent soudainement loin, loin d'ici, en essayant de contenir leur inquiétude ?

L'an dernier sortait en salles Midnight Special, un film de Jeff Nichols qui m'a beaucoup marqué pour sa gradation de l'étrange et du mystère. Un père arrache son jeune fils aux mains d'une secte catholique étrange et se lance dans un périple de nuit vers une destination inconnue. Les adultes sont soumis à beaucoup de tension mais il faut attendre longtemps avant d'en comprendre l'origine. 

Ce n'est pas tout à fait le pitch du film, mais : jouons un enfant à l'arrière de la voiture, qui voit des lumières folles dans le ciel, qui entend une annonce absurde à la radio. Jouons le dialogue avec le parent, qui tente d'expliquer sans dire.

Un jeu pour deux, dans l'attente et l'angoisse. À jouer, pourquoi pas, dans le format que propose De Profundis : dans le noir, confortablement installé-e-s dans un canapé et dans la fiction, sans interruption, à la recherche de transe & fascination ?